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L’ESPAGNE DEPUIS FERDINAND VII.

d’autres hommes ; nous souhaiterions à l’Espagne une demi-douzaine de ces têtes-là, ne fût-ce que pour lui poser les problèmes.

Malgré tant d’infériorités, M. Martinez reprenait ses avantages à la tribune. Il entraînait souvent, même ses adversaires, il avait des mouvemens nobles et chaleureux. Nous nous rappelons une séance où un sifflet lancé du public lui coupa la parole ; loin de perdre contenance, il redressa fièrement la tête, et, se tournant vers le lieu d’où partait l’outrage, il y répondit par une apostrophe pleine d’une dignité froide, d’un dédain superbe. Son maintien, sa voix, son geste, tout en lui respirait alors le grand orateur ; dans ce moment-là, il fut beau.

L’assemblée fut émue ; amis et ennemis, tout le monde battit des mains ; les tribunes se mêlèrent à ce concert unanime d’applaudissemens, et nous-même nous fûmes saisi d’une involontaire émotion, nous cédâmes à l’entraînement universel. Au sortir de là et le charme rompu, nous essayâmes de nous rendre compte de l’impression ; nous récapitulâmes le discours du ministre ; il ne soutenait pas l’examen ; c’était une suite de lieux-communs assez vulgaires ; mais tout cela s’était transfiguré en passant par la bouche d’or de l’orateur. Ce ne serait pas l’unique surprise de ce genre que nous aurions à confesser, tant cette parole andalouse a l’art de dorer les rêves de la vanité et les sophismes de l’impuissance.

M. Martinez de la Rosa avait son contraire à la chambre dans un de ses compatriotes, M. Alcalà Galiano ; nous disons son contraire en éloquence, car, quoique M. Galiano se fût assis au banc de l’opposition, nous ne pensons pas que leurs principes fondamentaux différassent essentiellement ; leur position seulement n’était pas la même. M. Galiano est de Cadix ; membre des précédentes cortès, il passa ses jours d’exil en Angleterre, de là son anglomanie avouée et son antipathie pour la France. Revenu sur le théâtre de ses premières gloires, il prit le rôle de tribun.

C’est l’homme d’Espagne qui parle le plus, et, quand on l’entend, on voudrait qu’il parlât davantage encore ; pourtant ce serait difficile. Son abondance est intarissable ; il va, il va, c’est un fleuve qui coule ; on ne voit pas comment il s’arrêterait. M. Galiano n’a pas besoin, comme M. Martinez de la Rosa, de l’enivrement de la tribune ; il est toujours prêt ; partout il parle, au coin