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L’ESPAGNE DEPUIS FERDINAND VII.

à toutes les mémoires ; une vue d’ensemble peut seule offrir quelque intérêt.

M. Zéa était tombé pour s’être refusé au rappel des cortès ; M. Martinez de la Rosa ne prenait sa place que sous la condition expresse de les convoquer. Quels que fussent ses penchans secrets, il ne lui était donc pas loisible de le faire ou de ne le faire pas ; l’idée de convocation préexistait à lui, il ne venait là que pour la convertir en loi et en fait ; il n’était que l’instrument d’une nécessité. Mais par quelle voie allait-il procéder ? sous quel mode allait-il restaurer l’antique droit national ? C’était la question.

Homme de temporisation et de demi-mesures, M. Martinez ne pouvait procéder que par compromis, et c’est par compromis qu’il procéda. Il professait, dès ses débuts politiques, si peu d’affection pour la charte démocratique de 1812, qu’il fut accusé, nous l’avons vu, d’avoir formé contre elle de mauvais desseins ; ce n’était donc point cette charte deux fois morte qu’il allait tirer du tombeau et ressusciter une seconde fois ; il la laissa dans sa bière, où elle est encore. D’autre part, on ne pouvait pas plus songer à rétablir les cortès selon l’ancienne forme qu’il n’eût été possible à Louis xviii de rappeler en 1814 les états-généraux. Quoique le corps social espagnol n’ait point passé par les convulsions qui ont bouleversé la France depuis 89, et qu’il y ait encore à cette heure dans la Péninsule une noblesse, un clergé indépendant, des priviléges de castes et des inégalités légales, cependant bien des intérêts ont été déplacés, des prérogatives entamées, bien des idées surtout modifiées et des préjugés battus en brèche. L’ancienne forme des trois ordres n’était donc plus praticable ; elle n’aurait satisfait ni les intérêts, ni les idées, ni les passions ; on dut écarter d’emblée cette combinaison surannée ; j’imagine qu’on n’y songea même pas.

Le public attendait la solution du problème ; il l’attendit trois mois. Pendant trois mois le cabinet Martinez travailla à son grand œuvre politique. Pareil aux antiques prêtres de l’Égypte, le sanhédrin ministériel se recueillit dans le fond du sanctuaire, il s’entoura de silence et de solitude, refusant d’admettre aucuns profanes à l’initiation des mystères, avant le jour marqué par sa pensée ; enfin ce grand jour arriva ; un beau matin du mois d’avril, le mont Sinaï sonna ses trompettes, et le nouveau décalogue tomba d’en haut sur la tête d’Israël. Ce décalogue a nom Statut Royal.