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sinistre cortège, et il avait espéré atteindre la brave amazone. Mais en vain. Il avait conduit sa monture à la cabane pour la faire reposer un instant, et pendant ce temps il s’était glissé dans les cours du château. Il avait vu, à la lueur des flambeaux, Sauvage fumant de sueur, entre deux palefreniers empressés à le frotter et à l’envelopper de couvertures. Il avait même entendu dire à un de ces laquais : « Diable ! voilà une drôle de promenade. Heureusement que M. le comte est couché. Sa toux nerveuse l’occupe plus que sa fille. » L’autre avait répondu : « C’est bon ! cela ne nous regarde pas. Mademoiselle n’est pas ce qu’elle paraît, ni monsieur non plus. Mademoiselle est bonne, il ne faut pas parler d’elle. Monsieur a le diable au corps, il faut avoir soin d’en dire du bien. »

Simon était revenu à Guéret par la grande route. C’était le plus long, mais il y avait moins de dangers et de difficultés. En attendant, M. Parquet s’était fait raconter toute l’histoire, et quoique Mme Féline eût caché le secret de Simon, il avait tout compris et tout deviné d’avance. Ils soupèrent tous trois ensemble, et tout en buvant la presque totalité du vin chaud qu’il avait fait préparer pour son filleul, M. Parquet parla ainsi :

— Enfant, tu es amoureux de Mlle de Fougères, et tu ne lui déplais pas. Elle a fait vœu de célibat, tu as fait vœu de ne lui parler jamais de ton amour. M. de Fougères ne consentira jamais à te la donner. Voilà trois obstacles à ton mariage. Cependant ces trois-là ne pèsent pas une once si tu viens à bout de lever le quatrième, et celui-là, c’est ta misère et ton obscurité. Il faut sortir d’incertitude ; il faut plaider d’aujourd’hui en huit. Si tu n’as pas de talent, il faut en acquérir ; si tu en as, il n’y a plus qu’un peu de patience à prendre, un peu d’argent à gagner, et Mlle de Fougères est à toi.

Simon, dont le cœur frémissait durant ce discours, supplia son cher parrain de ne point le leurrer de ces chimères. Mais M. Parquet était un optimiste absolu après boire.

— Cela sera comme je te dis, s’écria-t-il avec colère ; tu as du talent, j’en suis sûr. Quand j’avance une chose pareille, on doit me croire. Tu seras un jour célèbre, et par conséquent riche et puissant. C’est assez reculer, il faut sauter ; il faut jeter ton anneau ducal dans l’Adriatique ; il faut être le doge de notre dogaresse. Tu as tout ce qu’il faut dans ta cervelle et dans ta poitrine, dans