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jusqu’à un nouvel accès. Cette constriction de l’abdomen avait pour but de prévenir le gonflement, qui se développait après ces terribles convulsions ; on obtenait aussi parfois le même résultat à l’aide de coups de pied et coups de poing. Pendant la danse convulsive, ils ne voyaient pas, n’entendaient pas ; les uns avaient des apparitions de démons, les autres apercevaient des anges et l’empyrée ; quand la maladie était complètement développée, elle commençait souvent par des convulsions épileptiques ; les malades tombaient sans connaissance et écumans, puis ils se relevaient et commençaient leur danse forcenée. La couleur rouge avait la propriété de les irriter et d’augmenter la violence de leurs accès. Il en était de même des sons d’une musique bruyante, avec laquelle on les accompagnait dans plusieurs villes, et qui paraît avoir plusieurs fois provoqué l’explosion de la maladie chez des spectateurs. Un moyen qu’on employait souvent pour abréger leur accès, était de placer devant eux des bancs et des sièges, qui les obligeaient à faire des bonds prodigieux, et ils tombaient promptement épuisés de fatigue.

Cette maladie singulière a fait son apparition en Allemagne vers 1374, lorsqu’à peine avaient cessé les dernières atteintes de la peste noire ; et il ne faut pas croire qu’elle n’attaquât que quelques individus. Elle frappait du même vertige des masses considérables, et il se formait des bandes de plusieurs centaines, quelquefois de plusieurs milliers de convulsionnaires qui allaient de ville en ville, étalant le spectacle de leur danse désordonnée. Leur apparition répandait le mal, qui se propageait ainsi de proche en proche.

Le tarantisme est une maladie analogue qui a régné en Italie pendant plusieurs siècles, et qui, comme la danse épidémique de saint Guy a disparu, au moins dans sa forme primitive. C’est dans la Pouille qu’elle a pris naissance ; mais de là elle s’est propagée sur presque toute la péninsule. Dans ce pays, on l’attribua à la morsure d’une araignée appelée tarantule ; mais la morsure venimeuse d’une araignée, et surtout les terreurs qui s’ensuivaient, n’étaient que la cause occasionnelle d’une maladie nerveuse, qui apparaissait aussi en Allemagne avec des symptômes peu différens, et qui avait une cause profonde dans la condition des peuples.

Les personnes qui avaient été ou qui se croyaient mordues par la tarantule, tombaient dans la tristesse, et, saisies de stupeur, elles n’étaient plus en possession de leur intelligence ; la flûte ou la guitare pouvait seule les secourir. Alors elles s’éveillaient comme d’un enchantement, leurs yeux s’ouvraient, et leurs mouvemens, qui suivaient lentement la musique, s’animaient bientôt et devenaient une danse passionnée. C’était une chose fâcheuse que d’interrompre la musique ; les malades retom-