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CHANTS DE GUERRE DE LA SUISSE.

Tous ces chants sont assez longs, et ressemblent plus, par le mouvement du récit à un fragment de poème épique qu’à une ode. On voit que le poète ne les a pas pris comme un thème qu’il est pressé d’achever. Il se complaît dans le tableau des évolutions militaires, dans le détail des faits. Le chant d’Héricourt n’a pas moins de vingt-neuf strophes de six vers chacune ; celui de Morat en a trente-deux, et le plus long de tous est celui de Pontarlier. C’est aussi celui de tous qui me semble le mieux empreint des diverses nuances poétiques qui caractérisent l’œuvre de Veit-Weber. Si je ne crois pas devoir le citer en entier, j’en citerai du moins la plus grande partie.

L’EXPÉDITION DE PONTARLIER[1]

L’hiver a duré bien long-temps. Il a attristé les petits oiseaux qui chantent maintenant avec joie, et dont on entend le chant résonner à travers les rameaux verts de la forêt.

À peine la branche d’arbre s’est-elle couverte de quelques feuilles, que l’on attendait si impatiemment ; à peine la haie a-t-elle reverdi, soudain maint homme brave est sorti de sa demeure.

Les uns montaient ; les autres descendaient. Leur marche guerrière était terrible à voir, et l’on a fait au duc de Bourgogne un affront dont il n’a pas dû rire.

On est entré dans son duché, dans la ville de Pontarlier. Là, le combat a commencé, et l’on a vu bien des pauvres femmes prendre tout à coup l’habit de deuil, l’habit de veuve.

Dès que les Welsches[2] apprennent cette nouvelle, ils arrivent à pied et à cheval, au nombre de douze mille. Ils voulaient reconquérir la ville, mais il leur en coûta cher.

Les confédérés les attaquent, les pressent, les font tomber sous leurs coups, et leur enlèvent sur les murailles de la cité deux grandes bannières.

L’ours de Berne apprend ce qui se passe ; soudain il fait aiguiser ses griffes, il prend avec lui quatre mille hommes, et on les entend joyeusement siffler.

La nouvelle troupe arrive à Pontarlier sur la place pour braver les Welsches qui étaient plus de douze mille, et quand les Welsches aperçoivent l’ours, la peur les saisit.

Ils le voient s’avancer contre eux, ils étaient en grand nombre, et croyaient

  1. Die sache wegen Pontarlin.
  2. Les mots Wall, Wallh, Walscher, qui se retrouvent fréquemment dans les anciennes poésies allemandes, désignent un étranger qui parle une langue inconnue. C’est ainsi que, dans la chronique de Gest. Franc., le mot peregrinus est rendu par wallus.