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Comme lui, il marche le glaive à la main, en tête de ses concitoyens ; comme lui, il célèbre les jours de bataille, et les héros morts pour leur pays.

Nous ne connaissons de lui que cinq chants de guerre ; il est probable cependant qu’il en a écrit d’autres encore. Mais ces cinq chants reposent sur les évènemens les plus mémorables de la guerre de Bourgogne. Ils forment à eux seuls une Iliade complète. Ils commencent à la mort de Hagenbach et finissent à la bataille de Morat, le plus beau triomphe de la Suisse. Un an après, la puissance de Charles-le-Téméraire allait s’anéantir devant Nancy. Le prince de Flandre et de Bourgogne, frappé d’un coup d’arquebuse, rendait le dernier soupir dans un marais[1].

Nous ne savons rien de la vie de Veit-Weber, sinon qu’il était de Fribourg en Brisgau comme il le dit lui-même dans un de ses chants, et qu’il vivait à l’époque où la Suisse livrait toutes ces grandes batailles. Il devait avoir fait quelques études poétiques, car ses vers, avec toute leur naïveté et leur rudesse d’expression, ne manquent pas cependant d’une certaine harmonie[2]. Il y a même parfois de l’art dans la manière dont il dépeint l’air martial de ses concitoyens, et le mouvement des armées ennemies qui s’avancent l’une contre l’autre. Mais ce qui lui donne toute son inspiration, toute sa poésie, c’est le cri de guerre, c’est l’aspect du champ de bataille. Avec quelle ardeur il entraîne les Suisses au combat ! avec quel noble sentiment d’orgueil il loue tour à tour, et la force de Fribourg, et la fermeté de Soleure, et l’ours indomptable de Berne. Il a peur que ses concitoyens ne se divisent, car il sait que l’ennemi profiterait de leur discorde. Quand il leur a montré le danger qui les menace, il les appelle à se réunir, il invoque à leur secours et le Christ et la Vierge Marie, et les patrons de chaque cité suisse. Puis, quand il a lui-même combattu dans leurs rangs, quand la lutte est finie et la victoire gagnée, le voilà qui entonne l’hymne de triomphe. Son œil s’enflamme, son cœur bondit. Il regarde avec une impitoyable dureté les eaux du lac rougies du sang de ses ennemis, et chante d’une voix qui nous ébranle la déroute des Bourguignons et le succès de l’Helvétie.

    De Karlemagne et de Rollant,
    Et d’Olivier et des vassaux
    Qui morurent à Roncevaux.

  1. Comines rapporte cet évènement à l’année 1476. Le témoignage des poètes populaires suisses qui se trouvaient à la bataille de Nancy, et qui la fixent au 5 janvier 1477, me paraît être, en ce cas, plus digne de foi que le sien.
  2. Bouterwek pense que Veit-Weber avait profité des leçons de quelque maître-chanteur (meister sanger). Ce qui semblerait le prouver, c’est une de ses odes en strophes de quatorze vers, d’une forme analogue à celle de l’école de Nuremberg. (Geschichte der Poesie und Beredsamkeit, tom. ix, p. 306.)