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« Un autre peuple du nord, dit le même historien, les habitans de la Finlande, ont une poésie beaucoup plus développée. Éloignés par la nature de leur climat de toute influence étrangère, ils se sont cultivés eux-mêmes, ils ont eux-mêmes formé leur langue qui diffère évidemment de la langue slave et germanique dont elle n’a fait qu’emprunter quelques mots sans prendre leur construction.

« L’une des principales règles de leur poésie est l’allitération[1]. Tous les mots, ou du moins deux mots de chaque vers doivent commencer par la même syllabe ou par la même lettre, comme par exemple dans ces deux vers


Kooka kulki kunigamme
Adolphe Fredrich Armollinem[2].


« Ils ignorent l’usage de la rime. En vain, quelques savans qui avaient voyagé en pays étrangers, voulurent l’introduire parmi eux ; elle n’obtint aucun succès.

« Les paysans de la Finlande composent eux-mêmes leurs chansons ; les femmes s’occupent aussi beaucoup de poésie, surtout dans les provinces les plus éloignées de la mer, par conséquent les moins visitées par les étrangers. Ils n’ont aucune théorie poétique ; l’oreille et le sentiment sont leurs seuls guides. La plupart de ceux qui composent ces chansons ne savent pas écrire ; ils sont obligés de se souvenir de tous leurs vers. Cependant il en est quelques-uns qui ont essayé de se former des signes d’écriture sur le modèle des caractères d’imprimerie.

« Comme tout le monde fait des vers, il n’existe, à vrai dire, aucune classe d’hommes que l’on désigne sous le nom de poètes. S’il arrive pourtant que quelqu’un se distingue entre tous les autres, par ses compositions, on lui donne le titre honorifique de Runonickat (maître de chant).

« L’hiver, quand les habitans des contrées les plus reculées de la Finlande entreprennent leurs longs voyages vers les villes situées sur la côte, ils se réunissent par petites caravanes, et le soir assis autour de l’âtre, tous ceux d’entre eux qui font des vers se choisissent un ami qui les accompagne avec le kandele[3], et chantent l’un après l’autre leurs plus belles chansons.

  1. L’allitération se trouve encore au xvie siècle dans quelques ballades anglaises, notamment dans celles de Little John Nobody. Percy, tom. ii, p. 124.
  2. Alors voyageait notre roi Clément Adolphe Frédéric.
  3. Le kandele est un instrument à cordes en forme de violon, inventé par Waïnamoïnem, dieu suprême de la Finlande. Quand le dieu apporta cet instrument sur terre, dit la tradition, aucun mortel ne savait l’art de s’en servir. Lui le