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« Dans les âges primitifs, l’individualité est presque nulle. Tous les membres du corps social sont au même degré de culture, ont les mêmes opinions, les mêmes sentimens, vivent de la même vie morale. L’imagination est un don à peu près universel ; la poésie est partout, le poète est semblable aux autres hommes, seulement le don du chant est chez lui plus développé, et il chante ce qui est dans toutes les ames, dans tous les esprits, ce qui erre sur toutes les lèvres. »

Les premiers historiens des peuples du nord, ce sont les scaldes. C’est dans les sagas qu’il faut chercher l’histoire des guerres, et les hauts faits des héros scandinaves. Le Dieu de la Scandinavie, Odin, le Dieu suprême, ne parlait qu’en vers. Les scaldes étaient les favoris des rois, chaque chef de tribu, chaque Jarl d’Islande ou de Norwége, en avait toujours plusieurs à sa cour. On leur assignait une place distincte dans les batailles, afin qu’ils pussent suivre le mouvement des troupes, et chanter les exploits des guerriers. Non contens de rechercher les chants des scaldes, pendant leur vie, les rois d’Islande les écoutaient encore dans leur tombe. Un marchand faisait voile pour les côtes de Norvége. Le long du chemin, on aperçoit sur le rivage le tombeau du roi Fatnar ; le marchand se lève et se met à raconter tout ce qu’il sait de la vie et des exploits de ce roi guerrier. L’équipage arrive au port, et la nuit, le marchand voit apparaître l’ombre de Fatnar lui-même, qui lui dit : « Pour te récompenser du plaisir que tu m’as fait en racontant mon histoire, je te donne tous les trésors que tu trouveras dans mon tombeau[1]. »

Les bardes ont été pour les peuples celtiques ce que les scaldes étaient pour les Scandinaves, des poètes populaires, des chroniqueurs. Combien de documens précieux nous aurions, si nous pouvions retrouver ces chants des Germains mentionnés par Tacite[2] ! Malheureusement ils sont perdus, malgré le soin que Charlemagne, s’il en faut en croire Éginard, avait pris de les faire recueillir.

Après les scaldes, après les bardes, vient toute cette foule de poètes, dont les vers se répandent à travers le monde ; jongleurs et ménestrels, troubadours et minnesinger[3]. Le chant d’amour résonne aux bords de la Ta-

  1. Histoire de Suède, par Geiier.
  2. Germani celebrant carminibus antiquis (quod unum apud illos memoriae genus est) Tuistonem, etc.
  3. Je crois pouvoir compter une partie des œuvres des troubadours et des minnesinger comme populaires ; quoique leurs vers accusent une certaine étude d’art, et quelque travail de style, ils sont encore tout populaires par la forme, par le sujet, par la naïveté d’expression. Souvent aussi ils sont astreints à une forme bien plus négligée qu’on ne le pense. C’est ainsi, par exemple, qu’en Espagne le