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fraternité d’opinions. Simon ne put rien répondre. Il lui pressa la main avec un trouble plus indiscret que tout ce qu’il eût pu dire ; et pour se donner de l’aplomb, il demanda à Bonne la permission de l’embrasser, ce dont il s’acquitta avec assurance. Cette marque d’amitié enorgueillit Bonne comme une préférence ; elle ne connaissait rien aux roueries ingénues de la passion.

Mme Féline s’empressa de questionner son fils sur sa santé, sur la fatigue, sur la faim qu’il devait éprouver. Il demanda à manger afin d’avoir une occupation et un maintien. Il ne pouvait se remettre de son désordre. Un champion qui s’est préparé long-temps à un rude combat, et qui, en arrivant, voit l’ennemi tranquille et déjà maître du champ de bataille, n’est pas plus bouleversé et embarrassé de son rôle que ne l’était Simon. Bonne courut dans tous les coins de la cabane pour aider Jeanne à rassembler quelques alimens, et à les servir sur une petite table. Voulant marquer son affection à sa manière, l’excellente fille alla cueillir des fruits au jardin, et revint toute rouge et tout empressée, sans songer que les hommes s’éprennent plus volontiers d’une chimère que d’un bien qui s’offre de lui-même.

— Il n’y a que moi, dit Mlle de Fougères à Simon, qui ne fasse rien pour vous ici. Vous êtes comme Jésus arrivant chez Marthe et Marie. Je suis celle qui se tient tranquille à écouter le Seigneur, tandis que l’autre travaille et se dévoue.

— Et cependant, répondit Simon, le Seigneur préféra Marie, et conseilla à sa sœur de ne pas prendre une peine inutile.

— Pourquoi me dites-vous cela si bas ? reprit Mlle de Fougères avec sa brusquerie accoutumée. On dirait que vous craignez une méchante application de vos paroles.

— Oh ! j’espère qu’il ne se prend pas pour notre Seigneur ! répliqua Mlle Bonne en riant.

— Mais voulez-vous que je vous aide, chère amie ? dit Mlle de Fougères. Ce ne sera pas pour faire ma cour à monsignor Popolo, je vous prie de le croire ; ce sera pour vous soulager, mia buona.

— Oh ! je n’ai pas besoin de vous, ma dogaressa, répondit Bonne, à qui sa compagne avait appris quelques mots italiens. Vos mains sont trop fines pour les soins du ménage.

— Croyez-vous ? dit vivement Fiamma. Pourquoi traînez-vous ce seau d’eau avec tant de gaucherie, ma petite ?