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ment. Ce message étonna beaucoup la jeune Italienne. Elle trouva étrange qu’un prêtre s’arrogeât le droit de lui tracer son devoir de cette manière. Néanmoins elle ne crut pas pouvoir se dispenser d’accomplir ce devoir, que son éducation ultramontaine lui rendait sacré. Mais redoutant quelque embûche dans le genre de celles qu’elle avait su éviter jusque-là, elle ne monta pas à la tribune réservée aux anciens seigneurs de Fougères, tribune placée en évidence à la droite du chœur, et que le curé avait fait décorer à ses frais d’un tapis et de plusieurs fauteuils. Fiamma attendit que les vêpres fussent commencées, et, se glissant dans l’église sous le costume le plus simple, elle se mêla à la foule des femmes qui, dans ces campagnes, s’agenouillent sur le pavé de l’église. Elle détestait les adulations faites à une classe quelconque, mais elle pensait que devant Dieu elle ne pouvait se courber avec trop d’humilité.

C’est en vain qu’elle espérait échapper au regard investigateur du curé ou à celui du sacristain qui était chargé de la découvrir. L’église était fort petite, et l’usage du pays veut que toutes les femmes soient séparées des hommes et rassemblées dans une des nefs. Entre le Magnificat et le Pange lingua, dans l’intervalle réservé à l’officiant pour revêtir ses ornemens pontificaux, le sacristain traversa la foule féminine, et vint supplier Mlle de Fougères, de la part du curé, de prendre une place plus convenable à son rang. Sur son refus de monter à la tribune, l’opiniâtre desservant fit apporter auprès de la balustrade qui sépare les deux sexes, à l’entrée du chœur, un fauteuil et un coussin, comme il eût fait pour son évêque. Il pensait que Mlle de Fougères ne résisterait pas à cette honorable invitation, et il se décida à monter à l’autel. Pendant ce temps, les rangs de femmes qui séparaient Mlle de Fougères du fauteuil insolent s’étaient entr’ouverts, et tous les regards la sollicitaient pour qu’elle daignât en prendre possession. La seule Jeanne Féline, un peu distraite de sa fervente prière, et profondément choquée dans son sens droit et incorruptible de ce qui se passait, abaissa son livre, releva son capulet, et fixa sur Mlle de Fougères ce regard où l’orgueil de la vertu et le feu de la jeunesse brillaient au milieu des ravages de l’âge et de la douleur. Fiamma la vit et reconnut la mère de Simon, à une lointaine analogie de traits, à une similitude frappante d’expression. Elle avait entendu Mlle Parquet vanter le mérite de cette femme, elle avait désiré ren-