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SHAKESPEARE.

de parens catholiques, peut-être catholique lui-même, il ouït raconter sans doute à ses co-religionnaires qu’Élisabeth essaya de faire séduire sa captive par Rolstone, afin de la déshonorer, et que, profitant du massacre de la Saint-Barthélemi, il lui vint en pensée de livrer la reine d’Écosse au talion des Écossais protestans. Qui sait si la curiosité n’avait pas attiré le jeune William de Stratford à Fotheringay, au moment de la catastrophe ? Qui sait s’il n’avait pas vu le lit, la chambre, les voûtes tendues de noir, le billot, la tête de Marie séparée du tronc, et dans laquelle un premier coup de hache mal appliqué avait enfoncé la coëffe et des cheveux blancs ? Qui sait si ses regards ne s’étaient pas arrêtés sur l’élégant cadavre, objet de la curiosité et de la souillure du bourreau ?

Plus tard Élisabeth jeta une autre tête aux pieds de Shakespeare : Mahomet ii décapitait un icoglan, pour faire poser la Mort devant un peintre. Étrange composé d’homme et de femme, Élisabeth ne paraît avoir eu dans sa vie, enveloppée d’un mystère, qu’une passion et jamais d’amour. « La dernière maladie de cette reine, disent les mémoires du temps, procédait d’une tristesse qu’elle a toujours tenue fort secrète ; elle n’a jamais voulu user de remèdes quelconques, comme si elle eût pris cette résolution de longue main de vouloir mourir, ennuyée de sa vie par quelque occasion secrète qu’on a voulu dire être la mort du comte d’Essex. »

Ce seizième siècle, printemps de la civilisation nouvelle, germait en Angleterre plus qu’ailleurs ; il développait, en les éprouvant, les générations puissantes dont les entrailles portaient déjà la Liberté, Cromwell et Milton. Élisabeth dînait au son des tambours et des trompettes, tandis que son parlement faisait des lois atroces contre les papistes, et que le joug d’une sanglante oppression s’appesantissait sur la malheureuse Irlande. Les hautes œuvres de Tiburn se mêlaient aux ballets des nymphes, les austérités des puritains aux fêtes de Kenilworth, les comédies aux sermons, les libelles aux cantiques, les critiques littéraires aux discussions philosophiques et aux controverses des sectes.

Un esprit d’aventures agitait la nation comme à l’époque des guerres de la Palestine ; des volontaires, Croisés protestans, s’embarquaient pour aller combattre les idolâtres, c’est-à-dire les catholiques ; ils suivaient sur l’Océan sir Francis Drake, sir Walter Raleigh, ces Pierre l’hermite de mers, amis du christ, ennemis de la