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SIMON.

reux, ni si imprudent que tu le penses. Simon, tu es destiné à faire ton chemin, souviens-toi de ce que je te dis ; le neveu de mon pauvre Féline, le fils de Jeanne, n’est pas dévoué à l’obscurité. Avant qu’il soit vingt ans peut-être, je serai fort honoré de ta protection. Je ne ris pas. Adieu, Simon, laisse-moi déjeuner.

Simon paya mille francs de dettes qu’il avait à Poitiers, et alla travailler à Paris. Il n’aimait pas l’étude des lois, et il avait songé à y renoncer. Mais le service que Parquet venait de lui rendre, lui faisait presque un devoir de persévérer dans une profession qui, en raison des études déjà faites et de la protection assurée à ses débuts, par son vieil ami, lui offrirait plus vite que toute autre les moyens de s’acquitter. L’enfant travailla donc avec courage, avec héroïsme ; il simplifia ses dépenses autant que possible, et rendit sa vie aussi solitaire que celle d’un jeune lévite. La nature ne l’avait pas fait pour cette retraite et pour ces privations ; des passions ardentes fermentaient dans son sein ; une énergie extraordinaire, le besoin d’une large existence, le débordaient. Il sut comprimer les élans de son ame, et rompre son caractère sous la terrible loi de la conscience. Toute cette existence de sacrifices et de mortifications fut un véritable martyre, dont pas un ami ne reçut la confidence ; Dieu seul en fut témoin. Jeanne s’effraya de la maigreur et de la pâleur de son fils, lorsqu’elle le revit les années suivantes. Elle sut seulement qu’il avait la mauvaise habitude de travailler la nuit. Parquet se demanda si c’était le vice, ou la sagesse, qui avait terni déjà la fleur de la jeunesse sur ce noble visage. Il n’osa le lui demander à lui-même ; car Simon n’était pas très expansif, il était dévoré de fierté, et quoiqu’il ressentît au fond du cœur une vive reconnaissance pour son ami, il ne pouvait surmonter la souffrance qu’il éprouvait auprès de lui. Il le fuyait avec douleur, et n’avait pas seulement la force de lui dire : « Je travaille et j’espère le succès de mes peines ; » car il rougissait de sa honte même, il ne craignait rien tant que de se l’entendre reprocher. Le caractère de Parquet étant plus ouvert et plus hardi, il ne comprit pas les sentimens de Simon et les attribua à la honte ou au remords d’avoir mal employé son temps et son argent. Il eut la délicatesse de ne pas lui faire de question, et de ne pas sembler s’apercevoir de son embarras. Bonne, qui ne sut à quoi attribuer la conduite de son compagnon d’enfance, s’en affligea assez sérieusement pour faire craindre à son père que ce