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vraiment il est ridicule. Mieux vaut exclure la vérité, comme on fait au Théâtre-Italien par exemple, que de ne pas l’admettre tout entière. Pourquoi ce costume rigoureux, si la musique le dément ? En revanche, une admirable composition, c’est le finale du dernier acte, la bénédiction des drapeaux. Là, point de détours ni de confusion ; chaque chose va droit à son but ; tout se lie et s’enchaîne avec une logique étonnante. Jamais peut-être le génie et le talent de Rossini ne se sont plus dignement révélés que dans l’invocation du vieux prêtre. Il y a dans cette prophétie toute la démence du trépied antique. C’est un morceau conçu dans de colossales dimensions, un morceau comme le finale de Moïse, auquel il a quelquefois le tort de ressembler, surtout dans la dernière phrase. Quelque critique qu’on en puisse faire, le Siége de Corinthe n’en est pas moins l’œuvre de Rossini ; et, pour être cette fois plus aride que de coutume, le sol n’en a pas moins çà et là gardé l’empreinte des ongles du lion. Le Siége de Corinthe, avec tous ses défauts, reste à l’Opéra comme un monument de la puissance de Rossini. C’est encore là une partition comme on n’en écrit guère depuis qu’il s’est croisé les bras. L’exécution du Siége de Corinthe est digne en tout point de l’Académie royale de Musique. Nourrit, chargé comme autrefois du rôle de Néoclès, trouve des élans naturels et beaux. Dans l’air du troisième acte, qu’il chante avec un sentiment rare, sa voix a des vibrations d’une sonorité métallique. Quant à Pamyra, Mlle Falcon a révélé tout ce qu’il y avait d’énergie et de grace à la fois dans ce caractère. Mme Damoreau, dont le talent délicat et fin se refuse à toute inspiration grandiose, avait laissé dans l’ombre certaines parties de cette œuvre, et le public s’est étonné de découvrir tant d’énergie et de mâle puissance là où, jusqu’à présent, il n’avait vu que mignardise et coquetterie. En complétant Mme Damoreau, Mlle Falcon a produit dans son jour véritable cette création de Rossini, comme elle fit lorsqu’elle s’empara du rôle d’Alice. Elle abordait ce soir là un des airs les plus difficiles du répertoire italien, et certes, il fallait du courage ; car, si par malheur elle eût échoué dans la partie agile du rôle de Pamyra, le public ne lui aurait tenu compte ni de son jeu si vrai, ni de sa voix si belle. L’épreuve a été des plus glorieuses pour la jeune cantatrice, et quoi qu’il advienne maintenant, il est bon qu’elle ait créé ce rôle de la sorte, ne fût-ce que pour faire taire ceux qui prétendent encore aujourd’hui qu’une voix ample et magnifique doit toujours demeurer inhabile aux délicatesses du chant italien, et que la vibration exclut l’agilité, comme si le torrent qui s’épanche à larges nappes de cristal, ne pouvait pas tout aussi bien se dépenser en petites gouttes de pluie et de rosée.

J’avoue qu’après vous avoir parlé si long-temps d’une œuvre de Ros-