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qu’il dédaignait ; il arrache, tiède encore, la couronne, sur les tempes du maître qu’il s’était choisi, et la jette sur le front de sa nouvelle idole, qui se trouble et meurt étonnée au milieu de son triomphe. Voilà comment s’explique la gloire si prompte des compositeurs italiens, et le rapide oubli dans lequel ils tombent presque tous ; pour les faire resplendir plus loin, la gloire italienne consume les noms auxquels elle s’attache, au point qu’à la fin il n’en reste plus que cendres. — Cependant des chanteurs nouveaux arrivaient pénétrés d’une mélodie élégiaque et douce, que nous seuls ne connaissions pas encore. Cette musique avait, sur celle de Rossini, l’avantage incontestable d’avoir été écrite pour eux. La Sonnambula réussit, les tendres cantilènes de la Straniera furent comprises, Rubini le voulait ainsi, et l’on sait quelle influence a la voix de Rubini dans la salle du Théâtre-Italien, et quels prodiges elle y peut faire ! Ensuite vint le succès inoui des Puritains, et Bellini s’empara de cette scène d’où Rossini se retirait de plein gré. Certes, l’admiration excessive de l’Italie pour ce talent si gracieux et si délicat, l’enthousiasme qu’il excitait partout, avaient de quoi nous étonner, nous qui n’avions pas entendu Norma, car Norma suffit pour justifier, en partie, tout cela. Telle est la nature de cette œuvre, qu’on ne peut, sans la connaître à fond, se faire une idée juste de l’inspiration de Bellini. L’artiste, quel qu’il soit, s’achemine pendant les belles années de sa jeunesse, vers un but glorieux : peintures ou mélodies, toutes ses tentatives sont des degrés qui le conduisent à des hauteurs sur lesquelles il doit réaliser ce que l’humanité, plus tard, appellera son chef-d’œuvre, si la chose est digne que l’humanité s’en occupe. Pour Bellini, ce sommet où tend l’artiste, c’est Norma : le Pirate, les Capulets, la Straniera, sont comme autant d’échelons harmonieux ; une fois arrivé là, il a versé sans mesure dans la forme druidique tout ce qu’il possédait en son ame de tendres mélodies et de chaudes inspirations ; puis, l’œuvre étant accomplie, il s’est éloigné, la regardant encore avec amour. Les Puritains sont le premier degré par lequel Bellini commençait à descendre des sommets de Norma.

Sans être épique et grandiose comme celle de la Vestale, la musique de Norma se maintient à une certaine élévation ; ce qui frappe surtout, c’est l’ordonnance dramatique des principales scènes, et la profusion de la mélodie. Jamais le chantre de la Straniera n’a semé sur le sol d’une partition plus de ces belles fleurs mélancoliques, dont il savait seul le secret, comme Ophélie. La mélodie de Norma, tendre ou véhémente, selon que la scène l’exige, ne manque presque jamais de grace et de distinction ; on ne la retient pas la première fois, on ne la fredonne pas en sortant, comme les ariettes vulgaires de certains opéras français ; elle se contente de vous émouvoir et se cache dans les replis du cœur ; puis le