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DIPLOMATES EUROPÉENS.

aux séances plus sérieuses du congrès. Tout ce que l’Europe possédait d’hommes distingués, diplomates, artistes, s’étaient rendus à Vienne ; le soir, on se rassemblait au théâtre, à ces cercles où le jeu se prolongeait bien avant dans la nuit, où Blücher achevait de se ruiner, où le grand-duc Constantin perdait quelques millions de roubles dans deux ou trois soirées. On cita bien des galanteries diplomatiques, et de ces conquêtes flatteuses qui déjà, en 1807, avaient bercé à Paris la toute jeune existence politique du prince de Metternich. Le duc de Wellington lui-même se laissait distraire de ses gloires récentes par de hautes amours. Quelles brillantes soirées que celles de lady Castlereagh, femme diplomate, aussi active que le chef du ministère anglais dans toutes les négociations qui se rattachaient au cabinet britannique !

La plus touchante union paraissait régner, à Vienne, dans les actes extérieurs ; les trois souverains de Russie, de Prusse et d’Autriche se montraient ensemble, se pressant la main, se donnant des témoignages d’une mutuelle confiance, et cependant les divisions les plus graves s’élevaient, dans le congrès, sur le remaniement de l’Europe. La quadruple alliance de l’Angleterre, de la Prusse, de l’Autriche et de la Russie, telle que l’avait stipulée le traité de Chaumont, ne pouvait être considérée que comme un traité offensif et tout militaire, destiné à renverser le pouvoir de l’empereur Napoléon. Cette alliance était au fond hétérogène ; c’était plutôt un plan de bataille, un traité de subsides et de stipulations militaires, qu’une convention régulière pour l’avenir. Dès que le but commun fut atteint, c’est-à-dire le renversement de Napoléon, les puissances reprirent leurs intérêts naturels, leur situation hostile les unes envers les autres. La Prusse devait se rapprocher de la Russie, et s’éloigner de l’Autriche dans la question de la Saxe et de la suprématie allemande ; l’Angleterre s’opposer à la Russie en ce qui concernait la Pologne ; et la France, quoique si fortement secouée par une récente invasion et le changement de dynastie, devait chercher, dans un rapprochement avec l’Autriche et l’Angleterre, à reprendre quelque crédit sur le continent, soit en ce qui touchait la Saxe, soit pour la question polonaise. Il faut rendre cette justice à Louis xviii et à M. de Talleyrand, qu’ils comprirent parfaitement cette situation. Louis xviii s’intéressait aux malheurs du roi de Saxe, si fidèle à la cause de Napoléon. Dès l’origine du congrès, il y eut donc des conférences à part entre lord Castelreagh, M. de Metternich et M. de Talleyrand, pour aviser aux clauses d’un traité d’alliance qui pût donner un contrepoids à l’immense ascendant que la Russie avait pris