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DIPLOMATES EUROPÉENS.

tellement impérative, qu’elle subordonnât à cette question morale tout débat sur des intérêts plus personnels.

Ce fut dans ces circonstances et sous l’empire de ces préoccupations que s’ouvrit le congrès de Châtillon. Il y eut encore dans cette réunion désir évident de la part de l’Autriche de conclure un traité sur des bases d’équilibre européen. Mais M. de Metternich dut s’apercevoir que la position de l’Autriche n’était plus la même qu’à l’origine de la campagne. Dans cette phase nouvelle, en effet, tout le pouvoir moral était passé à l’empereur Alexandre ; il décidait de la paix et de la guerre ; il était devenu l’arbitre des destinées de la coalition. L’Autriche et la Prusse ne paraissaient plus être que des auxiliaires utiles ; l’ascendant et la popularité appartenaient tout entiers au czar. Le traité militaire de Chaumont qui fixa les contingens de troupes pour la coalition fut l’œuvre de l’Angleterre et de lord Castelreagh. On n’y décidait aucune question de dynastie, seulement les puissances déclaraient qu’elles ne mettraient pas l’épée dans le fourreau avant d’avoir réduit la France à ses limites de 1792.

À mesure que les évènemens de la guerre portaient les alliés vers Paris, les convenances ne permettaient plus à l’empereur d’Autriche et au cabinet que présidait M. de Metternich d’assister à des opérations militaires qui avaient pour but la prise de la capitale où régnait l’archiduchesse. L’empereur François ii et son ministre s’arrêtèrent donc à Dijon, tandis que la pointe hardie de la grande armée de Schwartzenberg livrait Paris à l’alliance. Il allait se passer là des évènemens d’une nature grave.

L’impulsion donnée par M. de Talleyrand à l’opinion publique emportait les corps politiques vers un changement. Il n’y a pas d’intrigues qui puissent détruire une dynastie. Quand les temps sont finis pour elle, elle s’en va. Or, il eût été bien difficile avec les fatigues de guerre, les engagemens pris à Chaumont, et le mouvement des esprits de maintenir Napoléon ou la régence de l’archiduchesse. Était-il possible de supposer que le chef couronné du grand empire se fût abaissé à une petite royauté circonscrite même en-deçà des limites du Rhin ? La régence était aussi impraticable ; c’était sans doute le triomphe complet du régime autrichien ; mais l’épée de Napoléon, que fût-elle devenue sous la régence ? se serait-elle tranquillement remise dans le fourreau ? Les évènemens de Paris furent indépendans de la volonté de M. de Metternich ; il n’y assista pas. L’empereur Alexandre conquit alors une si haute prépondérance, qu’aucun cabinet, quel qu’il fût, n’aurait pu lutter avec lui.