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ILLUSTRATIONS SCIENTIFIQUES.

mesurer au travers d’un verre grossissant l’importance des projets qu’il avait conçus ; mais ce qu’il faut surtout lui reprocher, c’est de n’avoir pas prévu que les hyperboles de sa polémique seraient prises au sérieux ; c’est d’avoir oublié qu’à toutes les époques et dans tous les pays, il existe un grand nombre d’individus qui, inconsolables de leur nullité, saisissent comme une proie toutes les occasions de scandale, et, sous le masque du bien public, deviennent avec délices les ignobles Zoïles de ceux de leurs contemporains dont la renommée a proclamé les succès. À Rome, celui qu’on chargeait d’insulter au triomphateur était du moins un esclave ; à Londres, c’est d’un membre de la chambre des communes que des savans illustres recevront un cruel affront. Un orateur, déjà célèbre par ses préjugés, mais qui n’avait jusqu’alors épanché son fiel que sur des productions d’origine française, s’attaquera aux plus beaux noms de l’Angleterre, et débitera contre eux, en plein parlement, de puériles accusations avec une risible gravité. Des ministres dont la faconde se fût exercée des heures entières sur les priviléges d’un bourg pourri, ne prononceront pas une seule parole en faveur du génie ; le Bureau des Longitudes, enfin, sera supprimé sans opposition. Le lendemain, il est vrai, les besoins d’une innombrable marine feront entendre leur voix impérieuse, et l’un des savans qu’on avait dépouillés, l’ancien secrétaire du Bureau, le docteur Young enfin, se verra rappelé à ses premiers travaux. Impuissante réparation ! Le savant en aura-t-il moins été séparé de ses illustres collègues ? L’homme de cœur aura-t-il moins entendu les nobles fruits de l’intelligence humaine, tarifés devant les représentans du pays, en guinées, shellings et pences, comme du sucre, du poivre ou de la cannelle !

La santé de Young, qui déjà était un peu chancelante, déclina, à partir de cette triste époque, avec une effrayante rapidité. Les médecins habiles dont il était assisté perdirent bientôt tout espoir. Lui-même avait la conscience de sa fin prochaine et la voyait arriver avec un calme admirable. Jusqu’à sa dernière heure, il s’occupa sans relâche d’un dictionnaire égyptien, alors sous presse, et qui n’a été publié qu’après sa mort. Quand ses forces ne lui permirent plus de se soulever et d’employer une plume, il corrigea les épreuves à l’aide d’un crayon. L’un des derniers actes de sa vie fut d’exiger la suppression d’une brochure écrite avec talent, par une main amie, et dirigée contre tous ceux qui avaient contribué à la destruction du Bureau des Longitudes.

Young s’éteignit, entouré d’une famille dont il était adoré, le 10 mai 1829, à peine âgé de cinquante-six ans.

L’autopsie fit découvrir qu’il avait l’aorte ossifiée.