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parce qu’elle fut reprise d’abord à Édimbourg, ensuite à Gœttingue, et poussée beaucoup plus loin qu’on ne voudra peut-être le croire. Dans l’une de ces deux villes, Young, en très peu de temps, parvint à lutter d’adresse avec un funambule renommé ; dans l’autre, et toujours à la suite d’un défi, il acquit dans l’art de la voltige à cheval une habileté extraordinaire, et qui eût été certainement remarquée, même au milieu des artistes consommés dont les tours de force attirent tous les soirs un si nombreux concours au cirque de Franconi. Ainsi, ceux qui se complaisent dans les contrastes pourront, d’un côté, se représenter Newton, le timide Newton, n’allant en voiture, tant la crainte de tomber le préoccupait, que les bras étendus et les mains cramponnées aux deux portières, et, de l’autre, son illustre émule galopant, debout sur deux chevaux, avec toute l’assurance d’un écuyer de profession.

En Angleterre, un médecin, s’il ne veut pas perdre la confiance du public, doit s’abstenir de s’occuper de toute recherche scientifique ou littéraire qui semble étrangère à l’art de guérir. Young sacrifia long-temps à ce préjugé : ses écrits paraissaient sous le voile de l’anonyme. Ce voile, il est vrai, était bien transparent : deux lettres contiguës d’une certaine devise latine servaient successivement, dans un ordre régulier, à la signature de chaque mémoire ; mais Young communiquait les trois mots latins à tous ses amis, nationaux ou étrangers, sans leur recommander d’en faire mystère à personne. Au reste, qui pouvait ignorer que l’illustre auteur de la théorie des interférences était le secrétaire de la Société royale de Londres pour la correspondance étrangère ; qu’il donnait, dans les amphithéâtres de l’institution royale, un cours général de physique mathématique ; qu’associé à sir Humphry Davy, il publiait un journal de sciences, etc., etc. ? Et d’ailleurs, il faut le dire, l’anonyme n’était rigoureusement observé que pour les petits mémoires. Dans les occasions importantes, quand, par exemple, parurent, en 1807, les deux volumes in-4o, de huit à neuf cents pages chacun, où toutes les branches de la philosophie naturelle se trouvent traitées d’une manière si neuve et si profonde, l’amour-propre de l’auteur fit oublier les intérêts du médecin, et le nom de Young en gros caractères remplaça les deux petites lettres italiques dont le tour était alors venu, et qui auraient figuré d’une manière assez ridicule sur le titre de cet ouvrage colossal.

Young n’eut donc jamais, comme praticien, ni à Londres ni à Worthing, où il passait la saison des bains de mer, une clientèle très étendue. Le public le trouvait trop savant ! On doit même avouer que ses