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quer la valeur des lettres dont il se compose à toute autre lecture qu’à celle des deux noms propres dont on les a tirées. Le mot impossible s’est si rarement rencontré dans la carrière scientifique de Young, qu’il faut se hâter de le justifier. Je dirai donc que, depuis la composition de son alphabet, Young lui-même croyait voir dans un cartouche, sur un monument égyptien, le nom d’'Arsinoé, là où son célèbre compétiteur a montré depuis, avec une entière évidence, le mot autocrator ; qu’il crut reconnaître Évergete dans un groupe où il faut lire César !

Le travail de Champollion, quant à la découverte de la valeur phonétique des hiéroglyphes, est simple, homogène, et ne semble donner prise à aucune incertitude. Chaque signe équivaut à une simple voyelle ou à une simple consonne. Sa valeur n’est pas arbitraire : tout hiéroglyphe phonétique est l’image d’un objet physique dont le nom, en langue égyptienne, commence par la voyelle ou par la consonne qu’il s’agit de représenter.

L’alphabet de Champollion, une fois modelé sur la pierre de Rosette et sur deux ou trois autres monumens, sert à lire des inscriptions entièrement différentes ; par exemple, le nom de Cléopâtre sur l’obélisque de Philœ, transporté depuis long-temps en Angleterre, et où le docteur Young, armé de son alphabet, n’avait rien aperçu. Sur les temples de Karnac, Champollion lira deux fois le nom d’Alexandre ; sur le zodiaque de Denderah, un titre impérial romain ; sur le grand édifice au-dessus duquel le zodiaque était placé, les noms et surnoms des empereurs Auguste, Tibère, Claude, Néron, Domitien, etc. Ainsi, pour le dire en passant, se trouvera tranchée, d’une part, la vive et éternelle discussion que l’âge de ces monumens avait fait naître ; ainsi, de l’autre, sera constaté sans retour, que, sous la domination romaine, les hiéroglyphes étaient encore en plein usage sur les bords du Nil.

L’alphabet, qui a déjà donné tant de résultats inespérés, appliqué, soit aux grands obélisques de Karnac, soit à d’autres monumens qui sont aussi reconnus pour être du temps des Pharaons, nous présentera les noms de plusieurs rois de cette antique race, des noms de divinités égyptiennes ; disons plus, des mots substantifs, adjectifs et verbes de la langue copte. Young se trompait donc, quand il regardait les hiéroglyphes phonétiques comme une invention moderne ; quand il avançait qu’ils avaient seulement servi à la transcription des noms propres, et même des noms propres étrangers à l’Égypte. M. de Guignes, et surtout M. Étienne Quatremère, établissaient, au contraire, un fait réel, d’une grande importance, que la lecture des inscriptions des