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et le fils de Pépin n’était pas, que je sache, un rêveur sentimental et larmoyant, « je pleure sur les maux futurs de mon peuple : puisque de mon vivant ces pirates du nord osent s’approcher si près de mes états, que n’oseront-ils pas après ma mort ! » — Voilà les grands princes, voilà les vrais grands hommes ; ils portent dans leur cœur l’humanité.

De Charlemagne à Ferdinand vii la chute est rude ; mais les nécessités du sujet nous ramènent du grand prince au mauvais. Ferdinand manquait de tout ce qu’il fallait pour réparer les ravages de la guerre ; médecin inepte, médecin brutal, il envenima les blessures, bien loin de les guérir. Et cependant jamais époque ne fut plus favorable à un développement de civilisation ; l’Espagne sortait triomphante d’une lutte gigantesque, et il était aisé, c’était même un devoir, de tourner au progrès le noble orgueil de la victoire ; on aurait obtenu tout alors de cette nation généreuse ; on aurait fait d’elle tout ce qu’on aurait voulu ; après tant de sacrifices rien ne lui aurait coûté. Mais pour transformer le mouvement guerrier en un mouvement social, il aurait fallu un tout autre homme que Ferdinand. Au lieu d’encourager ces héroïques instincts, il les a refoulés indignement ; il a tout flétri, tout profané, tout violé. L’Europe du reste l’a vu à l’œuvre ; elle sait à quelles extrémités il avait réduit l’Espagne, ce qu’il en voulait faire, ce qu’il en eût fait peut-être, si la Providence ne prenait soin de tirer elle-même le salut des peuples du sein de leurs calamités. Qu’il dorme en paix, s’il peut, ce mauvais prince, dans son panthéon de l’Escurial, entre ce Philippe ii dont il eut la cruauté sans le génie, et ce Charles iv, dont il eut la faiblesse sans la bonté ! Puissent les vingt mille messes qu’il s’est léguées par son testament lui obtenir le pardon du ciel ! La terre ne peut pas lui pardonner.

Ferdinand mort, l’Espagne respira ; tous les cœurs s’épanouirent à l’espoir de jours meilleurs. Le fameux testament fut ouvert ; on en connaissait d’avance le contenu. La régence fut instituée ; la reine Christine, assistée du conseil de gouvernement nommé par le roi mort, prit les rênes de l’état au nom d’Isabelle ii. Le président de ce conseil était et est encore le général Castanos ; mais son neveu, le marquis de Las Amarillas, aujourd’hui duc de Ahumada, dirigeait en réalité toutes les affaires.