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hommes du temps sont là pour le dire. Dans une autre séance, M. Thiers eut à parler des forces de la France. Il s’agissait de combattre quelques argumens du général Lamarque, d’ordinaire si bien instruit des forces de toutes les puissances ; qui entretenait une correspondance si active ; qui disait à point nommé où cantonnait tel régiment autrichien, combien de canons garnissaient telle forteresse de l’Italie ou de la Prusse. M. Thiers, toujours armé de documens authentiques, arriva à la chambre, avec une longue pancarte qui couvrait tout le banc des doctrinaires, où il était venu chercher un refuge. Puis, il monta lentement à la tribune, jetant des regards moqueurs sur les bancs de l’opposition, et il se mit à lui compter sur ses doigts de combien il s’en fallait que la France fût aussi redoutable que les généraux de la gauche semblaient le croire. Tant de régimens étaient sur le Rhin ; peu de régimens, de faibles régimens, de petits régimens, et sans artillerie encore ! Ce n’était pas la peine d’en parler. Il énuméra toute l’armée prussienne depuis Aix-la-Chapelle jusqu’à Magdebourg ; il ne laissa pas une compagnie de landwehr sans la mentionner ; et le tout se montait à si peu de chose ! Comment pouvait-on se faire un épouvantail de cette armée ? La gauche, mise en défiance par l’affaire des sous-préfets, lui adressa bien quelques petits ricanemens d’incrédulité ; mais M. Thiers triompha encore. Personne ne répondit. Le lendemain, il fut reconnu que l’armée de M. Thiers n’avait rien de commun avec l’armée du roi de Prusse ; mais c’était le lendemain, et M. Thiers est un homme qui se moque du lendemain, au moins autant que s’en moquait le cardinal de Retz quand il fabriquait des citations latines de Cicéron, pour apaiser les débats de la grand’chambre.

Le véritable début de M. Thiers dans la chambre date de la discussion sur l’hérédité de la pairie. M. Périer était venu présenter aux chambres un projet de loi, où il abandonnait l’hérédité de la pairie ; mais en même temps il déclara l’abandonner avec douleur, et céder, malgré ses convictions, à une manifestation populaire. Rien de plus curieux que ce singulier exposé de motifs, lu à la chambre, par M. Périer. On savait déjà que le ministère avait renoncé à maintenir le principe de l’hérédité de la pairie, sur lequel, au moment des élections, il avait été indécis au point d’em-