Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/689

Cette page a été validée par deux contributeurs.
683
HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

Périer se trouvait dépassé par M. Thiers, dans son système d’alliance étrangère et de pacification. Vous me demanderez peut-être, monsieur, si M. Laffitte ne jugea pas à propos de s’enquérir de ce changement auprès de son jeune et spirituel collaborateur, car c’est ainsi que s’intitulait M. Thiers, sous le ministère de M. Laffitte, quand il parlait, à la tribune, du président du conseil. Je pense bien qu’il n’y eût pas manqué, et que les bonnes raisons n’eussent pas manqué non plus à M. Thiers ; mais il fallait se rencontrer, et M. Thiers avait cessé de voir M. Laffitte ! Je vous dirai même à ce sujet une petite circonstance qui peint assez bien M. Thiers. Deux portes menaient de la salle des séances de la chambre au salon des conférences, et il fallait forcément entrer par l’une de ces portes. De temps immémorial, la place de M. Laffitte, dans la chambre, a été marquée au banc le plus inférieur, à l’extrémité de la gauche, près du couloir. Avant de siéger au banc des ministres, et après y avoir siégé, M. Laffitte occupait constamment cette place. Dans la première de ces deux périodes, M. Thiers entrait toujours par la porte de la gauche, et s’arrêtait long-temps devant le banc de M. Laffitte. Mais quand M. Laffitte alla reprendre sa place, après son ministère, on vit aussitôt M. Thiers arriver par la porte de la droite, et s’arrêter au banc de M. Duvergier de Hauranne, de M. Mahul et de M. de Rémusat, placés de ce côté. Jamais, depuis, la porte de gauche n’ouvrit son battant pour M. Thiers. Il eût fallu passer devant le banc de M. Laffitte !

Le 5 avril, M. Thiers reparut à la tribune, en qualité de député, pour appuyer les demandes du gouvernement. Plus tard, il vint déclarer à la chambre que l’on ne pourrait tenter de réunir la Belgique à la France sans s’exposer à une guerre générale. Cela, disait-il, était une idée insensée. Il fallait songer à ne pas faire une conquête qu’il n’était ni sage ni prudent de faire aujourd’hui. Il prouva que toutes les puissances étaient à la paix, que c’était leur intérêt, que c’était l’intérêt de la France. Pour la paix, s’écriait M. Thiers, il faut se résigner aux traités de 1815, traités déplorables ! Mais pour en appeler de ces traités à la victoire, ne serait-il pas beaucoup plus sage d’attendre une époque où les défiances politiques seraient calmées ? La France ne pouvait accep-