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besoin à cette heure. Le roi fut instruit de cette démarche et se joignit au président du conseil pour effacer de l’esprit de M. Thiers les derniers nuages qui y restaient. Voilà, monsieur, tout ce qu’il en est ; il m’a fallu aussi quelque courage à moi pour tracer cette page de ma lettre, et je ne l’ai fait que dans l’espoir qu’un jour elle se retrouvera auprès des accusations qui m’ont décidé à l’écrire. Mais, encore une fois, ne m’attribuez pas la pensée d’avoir voulu justifier M. Thiers de ces imputations ; Dieu merci, je ne suis pas homme à l’injurier, et ma sollicitude serait un outrage.

À l’époque où Casimir Périer se résigna à se laisser revêtir de la dignité de président du conseil, qu’il convoitait depuis si long-temps, M. Thiers fit un voyage dans le midi, et se rendit à Aix, pour assurer son élection, dans laquelle il fut soutenu par le ministère. Je parle, non pas du ministère de M. Laffitte, comme vous pourriez le croire, mais du ministère de M. Périer, cabinet tout différent par ses principes, par ses allures et par son système, mais qui soutenait déjà M. Thiers, l’un des membres les plus actifs, et l’un des faiseurs du cabinet précédent. Durant le ministère de M. Laffitte, M. Thiers, plus avancé dans le mouvement que ne l’était M. Laffitte lui-même, M. Thiers ne parlait que d’aller sur le Rhin, et de déployer, en Italie, les vieux drapeaux de Napoléon. On avait beau lui opposer le déplorable état de nos finances qu’il savait mieux que personne, il répondait que Bonaparte était entré en campagne sans argent, et que du haut des Alpes, il avait montré à ses grenadiers leur solde étalée sur les riches guérets des plaines de la Lombardie ; lui disait-on que le matériel était épuisé, sa réponse était encore prête, ce n’était pas la première fois que l’Allemagne aurait vu arriver nos soldats vainqueurs, sans souliers et sans caissons. M. Thiers avait tout prévu, jusqu’aux plans de campagne, et on l’entendait souvent professer la stratégie révolutionnaire aux vieux généraux qui fréquentaient encore le salon de M. Laffitte. À son retour, M. Thiers avait subi une transformation complète. Selon lui, le pays ne pouvait se sauver que par la paix, et Casimir Périer, qui repoussait avec sa dureté et son despotisme habituel, tous ceux qui osaient émettre des pensées belliqueuses en sa présence,