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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

tère atteint dans un de ses membres, et au mortel chagrin des amis du jeune écrivain, qui ne doutaient pas de sa droiture. L’accusation est trop connue pour que je me fasse un scrupule de la reproduire. Disons tout, monsieur. On accusait M. Thiers d’avoir participé au trafic de quelques places qui dépendaient du ministère des finances. Ce ne fut pas par un de ses adversaires politiques que cette accusation vint pour la première fois à mon oreille ; elle me fut répétée, les larmes aux yeux et le front rouge d’une honorable colère, par le meilleur, le plus tendre et le plus ancien des amis de M. Thiers. Pour moi, j’avoue que le seul aspect de cette noble figure, ainsi bouleversée, eut dissipé tous mes soupçons, si j’en avais conçu. L’amitié de certains hommes est une attestation de probité.

Je rougirais moi-même d’avoir à défendre M. Thiers, et M. Thiers rougirait aussi sans doute, si je lui faisais l’injure de le protéger contre ces accusations. Je n’en parle même que parce qu’elles arrivèrent jusqu’à M. Thiers, et qu’elles troublèrent cruellement sa vie en ce temps-là. Son malheur était bien réel, et M. Thiers était sincèrement à plaindre, car on avait, en effet, tenté de trafiquer de quelques places en son nom ; et l’homme qui se livrait à ce honteux métier, portait un titre qui touchait de trop près à M. Thiers, pour que sa juste colère pût l’atteindre. En ame courageuse et résolue, qui ne balance pas entre la honte et la fortune, M. Thiers eut bientôt pris son parti. Renonçant aussitôt à tous ses rêves d’ambition et de grandeur, et regardant, non sans douleur, du faîte où il était arrivé, le point d’où il était parti, il se dit qu’il fallait descendre. Alors il alla trouver M. Laffitte, et lui conta tout son malheur avec ce ton de simplicité et de franchise qu’il ne retrouve plus qu’à de trop rares intervalles. Il était décidé, disait-il, à quitter le ministère, à se consacrer à la vie laborieuse qu’il avait menée avant sa fortune de juillet, et, dans l’impossibilité où il était de démentir publiquement les soupçons qui s’attachaient à lui, il voulait au moins les faire cesser par sa retraite. En cette circonstance, M. Laffitte agit envers son jeune ami comme s’il eût été l’honnête et bon père qui lui manquait ; il le consola ; il lui donna les moyens d’arrêter le honteux négoce qu’on osait faire de son nom, et lui rendit le courage dont il avait grand