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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

nistre, habitué à le traiter comme un jeune homme intelligent quand il l’admettait autrefois à sa table, le nommait encore, d’un ton de paternité, mon enfant, et ne se gênait pas pour rire quand M. Thiers émettait un avis qui trahissait son inexpérience financière. Il n’en fut pas ainsi quand M. Laffitte arriva. D’abord M. Laffitte était président du conseil. Jugez si un seul homme pouvait suffire alors à diriger la politique et le mouvement financier de la France, amenée bien près d’une banqueroute et d’une invasion ! M. de Villèle y eût péri en vingt-quatre heures. M. Thiers sentit bien vite quelle importance il y avait à gagner pour lui dans ce moment. M. Laffitte était encore plus étranger que lui au ministère des finances, car enfin, M. Thiers y vivait depuis quatre mois. M. Laffitte, son protecteur, son ami, devait infailliblement jeter les yeux sur lui, qui était là, avec sa réputation d’homme capable et d’esprit flexible et fin. M. Thiers ne donna pas sa démission, car il n’avait pas de titre, mais il persista à sortir avec le baron Louis. M. Laffitte se vit obligé d’aller au château déclarer qu’il ne pouvait se charger du fardeau qu’il avait accepté, si M. Thiers le laissait seul aux finances, et il fallut qu’un commandement exprès du roi vînt décider M. Thiers à garder sa place, sa place, je me trompe, car il fut nommé sous-secrétaire d’état au département des finances. Ce fut le résultat de son dévouement au baron Louis !

En quittant le ministère de l’intérieur, M. Guizot avait dit à M. Thiers : « Je suis jeune, j’ai de la capacité, on le sait, je reviendrai. » M. Thiers en disait autant, et il ajoutait : J’arriverai. M. Laffitte ne s’occupait pas du ministère des finances, ou du moins il s’en occupait fort peu. C’était M. Thiers, en réalité, qui dirigeait ce département. On peut dire que M. Thiers faisait son apprentissage aux dépens de M. Laffitte, ou pour dire vrai, du pays. La première pensée d’un homme tout nouveau dans les affaires, et qui y apporte, comme faisait M. Thiers, un sentiment prononcé de sa capacité et de son mérite, c’est de renverser toutes les idées reçues, et de chercher un nouveau système, pensée bien dangereuse, en finances surtout. M. Thiers se souvint alors de deux ou trois lois du directoire et du consulat, qui étaient tombées sous sa main, dans le cours des études qu’il faisait en écrivant