Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/668

Cette page a été validée par deux contributeurs.
662
REVUE DES DEUX MONDES.

Le nom de M. de Talleyrand se présente pour la première fois dans cette rapide et incomplète étude du caractère politique et des œuvres de M. Thiers. Vous pensez bien que depuis long-temps le nom et la renommée de M. de Talleyrand avaient frappé l’esprit de M. Thiers. C’était pourtant un grand supplice pour M. Thiers que de ne pouvoir contempler face à face l’homme qui avait fait trois gouvernemens, et qui, après en avoir défait deux, semblait se disposer à abattre le troisième ; l’homme qui avait osé rompre avec Napoléon et lui tenir tête ; l’homme qui avait été assez puissant pour ameuter une seconde fois l’Europe contre lui, et qui avait conservé sur l’Europe cette puissance dont il se réservait encore l’emploi ! Quel appât pour M. Thiers que l’espoir d’arracher à M. de Talleyrand ce dernier mot que M. de Talleyrand n’a jamais dit à personne, et qu’il tenait alors suspendu, comme une menace, sur la restauration ! Mais la maison de M. de Talleyrand ne s’ouvre pas à tout le monde, et M. Thiers était tout le monde en ce temps-là. Ce fut M. Laffitte qui conduisit M. Thiers chez M. de Talleyrand. Le prince le reçut dans ce triste et sombre salon vert, un peu fané, où il a reçu tour à tour, depuis trente ans, tous les empereurs, tous les rois, tous les princes de l’Europe, tous les ministres passés et présens, tous les hommes de talent et de capacité, tous les esprits distingués du monde entier. Sur un de ces fauteuils déguenillés où prit place M. Thiers, l’empereur Alexandre avait écouté les premières paroles qui lui avaient été dites en faveur des Bourbons ; là avait été créé le gouvernement provisoire ; là on avait arraché à la sainte-alliance, représentée par trois rois, quelques concessions en faveur de la France, et là encore devait se décider plus tard l’alliance de l’Angleterre et de la France, ce long rêve de M. de Talleyrand, qu’il a poursuivi à travers l’empire et la restauration, et qu’il a enfin réalisé sur les débris de tous les régimes qui avaient fermé l’oreille à ses remontrances. M. Thiers prêchait alors l’alliance avec la Russie ; mais M. de Talleyrand le détourna plus tard de cette idée, et de bien d’autres encore.

Voilà donc M. Thiers libre, pouvant désormais dire toute sa pensée, débarrassé de toutes les entraves dont on le gênait au Constitutionnel, maître de suivre son allure personnelle, et d’éle-