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quentation de ces deux hommes était une source de prospérité et de crédit, et souvent M. Laffitte avait offert à M. Thiers de lui donner une de ces solides preuves d’amitié qu’il a répandues autour de lui avec une facilité dont il a eu souvent à se repentir ; mais la fortune ne devait pas venir à M. Thiers de ce côté. M. Thiers avait rencontré, en je ne sais quel lieu, un pauvre et obscur libraire allemand, nommé Schubart, qui passait pour un homme savant, mais qui, en réalité, connaissait seulement les titres d’une multitude de livres français et étrangers, science bien suffisante pour un libraire. Cet homme s’attacha avec un singulier empressement à la personne de M. Thiers ; il se fit son hôte, son intendant, son secrétaire ; il lui chercha partout des documens, il se mit en quête d’un éditeur pour son ouvrage, loua un logement plus convenable où il installa M. Thiers et son compagnon d’enfance, et ne les quitta plus un moment. Cet ami officieux et subalterne parlait souvent avec enthousiasme à M. Thiers du libraire Cotta, propriétaire de la Gazette d’Augsbourg, homme remarquable en effet, qui avait acquis, par une honorable industrie, l’immense fortune dont il faisait un noble usage ; libraire devenu grand seigneur et accepté comme tel par l’aristocratie la plus exclusive et la plus dédaigneuse de l’Europe ; simple prote admis dans l’intimité des grands princes et des grands hommes, du roi de Prusse, et de Goëthe, de Schilling, des rois de Wurtemberg et de Bavière, des Schlegel et des grands-ducs de Saxe ; qui s’était fait, par la Gazette d’Augsbourg, le dépositaire des confidences de tous les gouvernemens, qui signait des traités entre l’Allemagne méridionale et l’Allemagne du nord, et sur qui reposait toute la prospérité commerciale de son pays. Vers ce temps-là une action du Constitutionnel se trouvait vacante, et Schubart engagea M. Thiers à s’en rendre propriétaire, en lui promettant l’appui du baron Cotta. Il partit pour Stuttgard et revint bientôt. Cotta consentait à prêter tous les fonds nécessaires à l’achat, et à abandonner la moitié du revenu de cette action à M. Thiers, qui s’engageait à en remettre une petite partie à M. Cauchois-Lemaire. Le traité resta secret, et désormais M. Thiers se trouva jouir, dans le monde, de la grosse et considérable position que donnait le titre de propriétaire du Constitu-