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d’autres fois, quand son cheval pie, qu’il montait en cavalier peu habile, l’avait laissé gisant sur la voie publique, il se promettait bien de ne plus prétendre à l’adresse d’un Centaure ; mais la tête débarrassée et libre, le corps guéri, la meurtrissure fermée, M. Thiers se reprenait à tout, et retrouvait l’ardeur qui l’avait excité. Cette passion si avide, nourrie par de bonnes études, et étayée par une intelligence rare, firent de M. Thiers l’homme et l’écrivain que vous savez. Elle le soutint durant le long enfantement de sa volumineuse histoire, pendant lequel il trouva encore le loisir de composer sur les arts des articles, médiocres, il est vrai, mais qui attestent de laborieuses recherches : tant ces yeux sans cesse ouverts, tant cet esprit éveillé et chercheur, avaient besoin de pâture et d’aliment !

Il y a souvent un écueil pour les hommes pauvres et obscurs qui viennent, au nom de la supériorité de leur esprit, demander à la société qui les a déshérités, tous les avantages dont les a privés l’humilité de leur naissance. La société n’est que trop disposée à rester sourde à ces prières, et à se révolter contre ces prétentions. Elle les repousse toujours d’abord, et si ses dédains s’adressent à un caractère fier, à une ame dont les émotions sont délicates et profondes, une lutte, terrible souvent, s’ensuit entre la société et l’homme qu’elle écarte, entre la société qui est éternelle et l’homme qui finira demain, à moins que cet homme ne s’appelle Cromwell, Mirabeau ou Napoléon ; et alors c’est la société qui succombe pour se relever sous une autre forme et combattre d’autres prétendans moins heureux et moins habiles. M. Thiers, qui ne souffrirait pas sans doute que je le comparasse aux hommes que je viens de nommer, si j’en avais la folle pensée, était, à son début, un de ces esprits sans humeur et sans rancune, qui ne viennent pas frapper à coups de massue aux portes de la société, mais qui tâchent adroitement de les entr’ouvrir. Tout nu et dépouillé qu’il était, quand l’âge vint pour lui de se chercher une place dans l’ordre social, il ne se regarda pas d’abord comme engagé dans un duel où l’un des deux adversaires, c’est-à-dire la société ou lui, devait périr. C’était d’un bon esprit, la suite l’a fait voir. Il voulait bien effrayer un peu le pouvoir, mais non lui faire trop peur, et ce fut encore une des pensées qui