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jourd’hui que le rédacteur de la note ministérielle n’avait pas pris la peine de lire la teneur de nos conventions avec les cantons suisses. Les conventions sont formelles. — Les citoyens français, est-il dit, doivent jouir en Suisse des mêmes droits que les citoyens suisses. Or, les Israélites suisses n’ont jamais eu le droit d’acquérir des immeubles dans le canton de Bâle-Campagne ; donc les citoyens français n’ont pas ce droit. Le premier employé des affaires étrangères venu, à qui M. de Broglie eût fait demander un rapport sur cette affaire, eût certainement fait lire au ministre la note officielle de M. de Rayneval, qui précéda le traité du 30 mai 1827, entre la confédération suisse et le gouvernement français. Cette note ne laisse pas le moindre doute sur l’esprit du traité en ce qui concerne les Israélites ; et il semble qu’elle ait été rédigée uniquement pour la solution de l’affaire dont il s’agit aujourd’hui. — « Il est entendu, disait M. de Rayneval, que les citoyens français qui appartiennent au culte Israélite ne peuvent prétendre aux droits qui découlent de l’article 1er (celui où il est dit que les Français auront les mêmes droits que les Suisses) dans les cantons qui excluent les Israélites, puisque les juifs suisses ne peuvent aspirer, dans ces cantons, aux droits dont jouissent les autres citoyens suisses. » Que devient maintenant l’ordonnance du roi, contresignée par M. de Broglie, et précédée de cet exposé : « Considérant qu’au mépris du droit des gens, et contrairement aux stipulations des traités qui règlent les rapports entre la France et les cantons suisses, le gouvernement du canton de Bâle-Campagne a méconnu le libre exercice du droit d’établissement et de propriété envers MM. Wahl, de Mulhausen, en annulant un contrat passé par eux, et en motivant cette annulation sur la qualité d’Israélites, etc. » — Que pensera-t-on de notre ministère des affaires étrangères dans les chancelleries de l’Europe, quand on apprendra qu’on ne sait pas y lire attentivement les traités, et qu’on y prend des mesures de rigueur, sans daigner consulter les pièces et les dossiers ? Il ne s’agit ici que d’un demi-canton suisse, il est vrai ; mais jugez des effets d’une telle légèreté dans une négociation avec l’Amérique ou l’Angleterre !

M. Thiers, qui lit et qui examine moins que personne, ne manquera pas de se réjouir en secret de cette faute de M. de Broglie ; car outre l’envie que M. Thiers porte à M. de Broglie, comme grand seigneur et homme considéré, ses yeux jaloux et inquiets n’ont jamais perdu de vue la présidence du conseil et le ministère des affaires étrangères, auquel il se croit si propre. Un écolier qui voit faillir ses maîtres, n’a pas plus de joie que n’en éprouve, en pareille circonstance, M. Thiers, qui regarde, avec quelque raison, ses collègues comme ses maîtres dans le ministère. Chaque jour M. Thiers soupire et demande quand cette domination finira ; aujourd’hui, il espère que la chambre le débarrassera de M. Guizot et de M. de Broglie, et en attendant, pour prendre patience, M. Thiers essaie de se consoler par des niches dont le récit l’amuse en famille. C’est ainsi qu’une sous-préfecture, promise à M. Guizot, ne lui a pas été accordée par M. Thiers, quoiqu’elle eût été demandée avec quelque instance et avec quelque raison, par le ministre de l’instruction publique à son collègue de l’intérieur ; c’est aussi