Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/609

Cette page a été validée par deux contributeurs.
603
HISTOIRE LITTÉRAIRE.

quarante ans de combats, est encore partout menacée et comprimée, elles se demandent ce que tout cela deviendrait, lorsque la Russie, déjà si redoutable, les presserait à la fois au nord et à l’est, avec cent millions d’hommes des plus guerriers et les richesses du monde ; toutes ces interpellations, cet effroi, cette fierté, ces répugnances, M. Barrault s’en étonne fort. Il répond que la Russie, toute-puissante et satisfaite, sera débonnaire ; qu’elle supportera l’indépendance de l’Occident, et que, désormais sans inquiétude pour elle-même, elle nous permettra la liberté. Au lieu de s’alarmer, « l’Europe, dit textuellement M. Barrault, ne doit-elle pas plutôt se réjouir d’avoir rencontré, lorsqu’une autre tâche la réclamait, une suppléante vigoureuse de sa vétérance ? » Quant à la France en particulier, telle sera la part qu’on lui fait, dans le nouvel arrangement, que certes elle n’aura pas sujet d’être jalouse ni mécontente. Son rôle, le seul que lui permette sa petitesse irrémédiable, sera comme par le passé d’approvisionner l’Orient d’instructeurs, de médecins, d’ingénieurs, d’architectes, qui aideront la Russie à retirer de ses immenses possessions le plus de force et de richesse qu’il se pourra. Elle sera la ruche d’où la Russie empruntera les essaims qui lui feront son miel ; et ce rôle sera d’autant plus beau que, de notre part, il sera désintéressé. Puis, rassurant l’Angleterre de ses folles alarmes à propos de l’Inde : « Outre les difficultés de l’exécution, dit M. Barrault, p. 137, que multiplient les états intermédiaires entre l’Inde et la Perse, elle (la Russie) croira prudent de s’en tenir aux démonstrations. Quels que soient les abus inséparables d’une administration étrangère, on doit un tel hommage à la sagesse montrée par l’Angleterre dans le gouvernement de l’Inde, que toute tentative sérieuse de la Russie dans cette direction serait éminemment mauvaise, en ce qu’elle n’améliorerait point le sort des populations, ne serait point accueillie par elles, et tournerait en définitive à sa honte. » Les raisonnemens de M. Barrault ont en général cette profondeur et cette solidité. Ajoutons, pour dissiper toute inquiétude, qu’il a imaginé un contrepoids, une limite à la Russie. Ce contrepoids, cette limite, c’est l’empire arabe, comme l’appelle M. Barrault, c’est-à-dire la Syrie, l’Égypte et l’Arabie actuellement unies et indépendantes sous Méhémet-Ali. Et si l’on demande pourquoi l’empire arabe n’aurait pas le sort de l’ottoman, M. Barrault ne répond rien, sinon que la race arabe est homogène et veut refaire sa nationalité. La raison véritable, nous le croyons, celle que tait M. Barrault, c’est la relation de bonne amitié où a su se mettre le pacha d’Égypte avec M. Barrault et ses amis.