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soit imprimés, qui nous sont restés d’Eutrope et de ses continuateurs. Il est aujourd’hui démontré qu’Eutrope, écrivain romain, a fourni le premier fond de l’Historia Miscella jusqu’au règne de Valentinien, et que Paul Diacre, moine chrétien, a travaillé deux fois à l’étendre jusqu’au règne de Justinien, en y introduisant principalement les faits de l’Histoire sainte. Ce moine commença ce travail pour plaire à une princesse de Bénévent ; mais la dame ayant d’abord trouvé l’ouvrage de trop fort stille, Paul Diacre en fit une nouvelle rédaction, beaucoup plus longue et plus prolixe que la première. D’autres ont ensuite conduit cet ouvrage jusqu’au neuvième siècle de l’ère vulgaire.

Quant à l’Histoire des Normands, qui devait l’occuper plus spécialement, M. Champollion a traité en détail les différentes questions que l’examen de ce manuscrit fait naître. Il démontre, par des preuves qui nous ont paru irrécusables, que l’ouvrage retrouvé est précisément celui du moine Amat, dont l’écrit a servi de base aux récits d’écrivains postérieurs, tels que Geoffroy de Malaterra, Guillaume de la Pouille, et Léon d’Ostie. Il se trouve même que ce dernier, en faisant à l’ouvrage d’Amat de très nombreux emprunts, nous en a conservé en partie le texte latin. Toutes les personnes qui aiment les recherches et les découvertes d’érudition prendront plaisir à lire cette dissertation. Jamais, même dans les meilleurs temps, on n’a fait un travail de ce genre avec plus de conscience. La société qui avait confié cette mission à M. Champollion doit se trouver satisfaite. Il y a, dans ces cent pages, assez de recherches minutieuses et de solides inductions pour montrer que les plus patiens bénédictins ont encore aujourd’hui des émules.

Venons à l’Ystoire de li Normant et à la Chronique de Robert Viscart, que M. Champollion croit aussi appartenir au moine Amat. Sur ce dernier point, nous avouons qu’il nous reste quelque doute.

Nous avons lu avec intérêt ces récits qu’un Italien, un moine, contemporain de Guillaume Bras-de-fer et de Robert l’Avisé, écrivait dans sa solitude du Mont-Cassin pendant que ces rudes Normands se faisaient les maîtres de son pays. Hélas ! ce bon moine n’est pas un Tacite. Son Histoire ressemble fort aux chroniques latines que nous possédions déjà ; et il faut avouer que sous bien des rapports elle n’ajoute pas une grande lumière à celle que l’on pouvait tirer des écrivains de la collection de Muratori. Pour peindre la vie des chevaliers du xie ou du xiie siècle, il fallait vivre soi-même de cette vie d’aventures ; il fallait un homme qui consentît à déposer la lance pour prendre la plume ; il fallait un laïc, un guerrier, qui écrivît en langue vulgaire, et non pas en latin : il fallait le sire de Joinville. La plupart du temps,