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HISTOIRE LITTÉRAIRE.

servent de fondement et de garantie à ses premiers volumes. Son crédit, ses correspondances, ses longs séjours en Turquie, l’ont rendu maître d’une réunion d’écrits originaux que la cour de Vienne s’est empressée d’acquérir, et à laquelle aucune autre, même en Asie, ne saurait être comparée. Toutes les bibliothèques de l’Europe lui ont fourni leur contingent ; et enfin les archives d’état de Venise et de l’Autriche, ces deux puissances si long-temps mêlées par la guerre à la puissance ottomane, se sont ouvertes devant lui pour livrer à son investigation savante le riche trésor des pièces diplomatiques qu’elles renferment : rapports d’ambassadeurs, négociations, conventions, traités de paix ; précieux contrôle des historiens orientaux !

Tels sont les fondemens de certitude sur lesquels repose l’histoire dont M. de Hammer vient de doter l’Europe. Ce sont des annales turques composées avec les connaissances que pourrait posséder un musulman érudit, et écrites avec la clarté et l’impartialité du génie occidental. À ses autres mérites, cette histoire joint celui d’être née dans l’instant le plus favorable que puisse rencontrer l’écrivain qui se propose de retracer les évènemens d’un empire. La puissance ottomane, après s’être élevée au plus haut degré de splendeur que les puissances mahométanes aient jamais atteint dans le monde, est aujourd’hui pleinement entrée dans cette phase de décrépitude qui attend inévitablement toutes les sociétés qui n’ont apporté en naissant qu’un principe éphémère d’existence. Le moyen-âge chrétien finissait lorsqu’elle a commencé à dresser sur la scène politique l’image menaçante de son croissant, et déjà voici qu’elle est à son terme. Que notre regard remonte l’espace de quelques siècles, et il touche à l’antiquité de ces Barbares : en un clin d’œil leur domination s’installe, grandit, fait trembler à la fois les trois mondes ; en un clin d’œil aussi elle s’ébranle, perd sa force et n’est plus qu’un fantôme que le moindre souffle de guerre va remettre au néant. Naissance, grandeur et décadence, l’historien peut convoquer à son aise dans sa pensée tous les élémens de cette destinée déjà presque entièrement accomplie ; et cependant les traces qu’elle lui présente encore ne sont pas tellement effacées dans la poussière du passé, qu’il ne lui soit donné de toucher de ses mains cette caduque et chancelante nation, de la voir, de l’entendre dérouler ses souvenirs, et de ramasser ses dernières paroles. C’est à l’instant où le moribond s’apprête à descendre dans le silence du tombeau que les vivans ont coutume de s’approcher de lui pour recueillir le testament de sa vie.

Enfin, dans un moment où l’attention de l’Europe se reporte si vivement, et par de si justes motifs, sur les affaires de la Turquie, les