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pression, dès qu’il s’agit de ces choses, et l’on a remarqué qu’ils aiment à salir la volupté, pour en dégoûter sans doute. Bayle n’a pas d’intention si profonde. Il n’aime guère la femme ; il ne songe pas à se marier : « Je ne sais si un certain fonds de paresse et un trop grand amour du repos et d’une vie exempte de soins, un goût excessif pour l’étude et une humeur un peu portée au chagrin ne me feront toujours préférer l’état de garçon à celui d’homme marié. » Il n’éprouve pas même au sujet de la femme et contre elle cette espèce d’émotion d’un savant une fois trompé, de l’Antiquaire dans Scott, contre le genre-femme. Un jour à Coppet, en 1672, c’est-à-dire à vingt-cinq ans, dans son moment de plus grande galanterie, il prêta à une demoiselle le roman de Zayde, mais celle-ci ne le lui rendait pas :« fâché de voir lire si lentement un livre, je lui ai dit cent fois le tardigrada, domiporta, et ce qui s’ensuit, avec quoi on se moque de la tortue. Certes voilà bien des gens propres à dévorer les bibliothèques. » Dans un autre moment de galanterie, en 1675, il écrit à Mlle Minutoli, et à cet effet il se pavoise de bel-esprit, se raille de son incapacité à déchiffrer les modes, lui cite, pour être léger, deux vers de Ronsard sur les cornes du bélier, et les applique à un mari : « Au reste, mademoiselle, dit-il à un endroit, le coup de dent que vous baillez à celui qui vous a louée, etc. » L’état naturel et convenable de Bayle à l’égard du sexe est un état d’indifférence et de quiétisme ; il ne faut pas qu’il en sorte ; il ne faut pas qu’il se ressouvienne de Ronsard ou de Brantôme pour tâcher de se faire un ton à la mode. S’il a perdu à ce manque d’émotions tendres quelque délicatesse et finesse de jugement, il y a gagné du temps pour l’étude, une plus grande capacité pour ces impressions moyennes qui sont l’ordinaire du critique, et l’ignorance de ces dégoûts qui ont fait dire à Lafontaine : Les délicats sont malheureux. Si Bayle en demeura exempt, l’abbé Prévost, critique comme lui, mais de plus romancier et amoureux, ne fut pas sans en souffrir.

On lit dans la préface du Dictionnaire critique : « Divertissemens, parties de plaisir, jeux, collations, voyages à la campagne, visites et telles autres récréations nécessaires à quantité de gens d’étude, à ce qu’ils disent, ne sont pas mon fait ; je n’y perds point de temps. » Il était donc utile à Bayle de ne point