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DES PARTIS ET DES ÉCOLES POLITIQUES.

chrétien a la vie dure ; les plus abondantes saignées ne l’épuisent pas ; il lègue sa vengeance aux générations qui doivent suivre, et ses héros en mourant jettent aussi contre le ciel de la poussière que le temps féconde. La Russie, barbare encore, avait besoin de s’ouvrir l’Occident ; la Russie actuelle, avec son million de soldats, dompte et contient la Pologne ; mais la Russie industrieuse et maritime, maîtresse du cours du Danube et du Bosphore, n’aura plus ces instincts de conquête et de domination militaire ; il lui faudra utiliser pour la paix ses ressources aujourd’hui stériles ; le vieil esprit moscovite cédera devant des influences nouvelles, et l’orgueil national ne résistera pas toujours ; on peut l’espérer, à l’intérêt manifeste de l’empire.

Un système est près de devenir inapplicable quand il impose au chef d’un grand empire des paroles de la nature de celles qui viennent d’émouvoir si profondément l’Europe. C’est sans doute une scène toute théâtrale que celle à laquelle s’est prêté l’empereur, au sein de Varsovie désolée ; le cœur du frère d’Alexandre démentait les sauvages paroles que son rôle l’obligeait de prononcer ; on le croit pour l’honneur de la Russie comme pour celui du czar ; mais le même sentiment oblige de croire aussi que ce rôle de geôlier finira par répugner aux vainqueurs, autant qu’il est insupportable aux vaincus. Jamais, du reste, plus éclatant témoignage ne fut rendu à la vitalité de la Pologne, jamais gage plus assuré ne fut donné à sa renaissance. La Russie, qui se dit seule forte et compacte, fait aux yeux du monde entier, un aveu dont, dans des jours plus calmes, elle profitera sans doute ; elle confesse qu’un peuple entier est en insurrection permanente sur sa frontière, et l’empereur le dispense désormais de l’hypocrisie, ce dernier supplice des faibles et des opprimés.

Toute la politique de la France, sous le rapport de la sûreté de l’Europe et de sa propre sécurité, se réduit à un fait fort simple : pour une toise de terrain que la Russie abandonnerait à l’Occident, lui en livrer dix en Orient ; lier indissolublement la question polonaise à celle de la Turquie, de manière à rétablir le seul rempart naturel contre le Nord, en même temps qu’on porterait un coup sensible au monopole de l’Angleterre ; comprendre enfin qu’il n’y a ni plus ni moins à se préoccuper du despotisme militaire de la Russie que du despotisme maritime de la Grande-Bretagne, puisque si nous payons tribut à l’un par notre budget de la guerre, notre budget de la marine nous rend tributaires de l’autre.

La France ne doit pas s’inquiéter de ce qu’un peuple grandit, mais seulement de la manière dont cet agrandissement s’opère. Elle a jeté