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DES PARTIS ET DES ÉCOLES POLITIQUES.


dont l’extension de la Russie menace, il est trop vrai, l’Europe, que de s’imposer une tâche ruineuse, et à bien dire impossible. Grâce à Dieu, elle ne doit prononcer contre aucun peuple le delenda Carthago.

On veut rire quand on nous montre déjà les hordes cosaques s’embarquant à Constantinople pour venir tenter une restauration en Provence[1]. Il y a moins loin de Plymouth à la côte de Bretagne que du Bosphore à Marseille ; la flotte anglaise était, dans la guerre de la révolution, plus formidable que ne le sera jamais la flotte russe, et cependant la Grande-Bretagne, appuyée sur l’émigration et la gigantesque Vendée, n’a pas ébranlé même le terrible pouvoir qu’elle combattait en 1793. Un écrivain spirituel et grave, qui produit de semblables raisons comme décisives, laisse croire qu’il n’en a pas de meilleures à donner.

On s’impose une tâche par trop facile en s’efforçant de démontrer que les cabinets assez peu prévoyans ou assez lâches pour tolérer, sans conditions rassurantes pour l’Europe, l’extension indéfinie de la puissance russe, compromettraient la liberté du monde. La France surtout, cette gardienne de la civilisation et de l’indépendance des peuples, ne saurait, sans descendre au dernier degré de l’abaissement, permettre la formation d’un empire qui, appuyé aux glaces polaires, continuerait à tenir garnison à quatre-vingts lieues de Vienne, Dresde et Berlin, tandis qu’il s’ouvrirait par mer le centre de l’Europe, et menacerait l’Angleterre aux bords du Gange. Mais, pour prévenir un tel danger, faut-il s’imposer une tâche qui n’obtiendrait jamais qu’un succès dilatoire ? Serait-il impossible de creuser un large lit au cours de l’ambition russe, en lui faisant quitter, dans l’intérêt de l’Europe, des voies où elle a dû marcher temporairement, mais où elle n’a aucun motif de rester désormais engagée ?

On a beaucoup reproché depuis un siècle, au cabinet de Pétersbourg, de trop intervenir dans les affaires de l’Europe ; reproche sur lequel il est bon de s’entendre.

Pierre Ier faisait son métier de grand homme en dépouillant la Suède de l’Ingrie et de la Livonie, en s’ingérant dans les affaires de Pologne,

    du reste, par les données positives et l’habileté du rédacteur, n’est qu’un long sophisme pour changer une question purement anglaise, celle de la possession des Dardanelles, en question française et européenne, et pour confondre la politique de deux grands peuples qui s’honorent et s’affectionnent sans doute, mais dont la position est distincte comme l’intérêt.

  1. L’Angleterre, la France, etc., page 136.