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dans une sphère plus lumineuse et moins tourmentée ; la politique de la France ne lui aurait pas paru si odieuse et gratuitement machiavélique, et le cabinet de Versailles, s’opposant sagement à l’affranchissement de la Corse, serait sans doute demeuré à l’abri des qualifications injurieuses dont il le charge. La parole de M. Jacobi est rarement empreinte de ce sentiment de haute sérénité qui sied à la majesté de l’histoire. On est souvent tenté de comparer le caractère de son patriotisme à la physionomie de son île, qui est étroite, sans liaisons continentales, et, sur plus d’un point, rocailleuse et sèche. Croirait-on que, dans la querelle entre Louis xiv et le pape pour la réparation de l’insulte faite à l’ambassadeur français, M. Jacobi prend parti contre notre grand souverain en faveur des mercenaires corses de la garde sacerdotale ? Ce seul exemple nous suffit, et notre critique n’en cherchera pas d’autres. D’ailleurs, pour juger convenablement des opinions de l’auteur à l’égard de la France, il est nécessaire d’attendre la publication de son troisième volume, qui comprendra la série des évènemens depuis la conquête de la Corse jusqu’à nos jours. Les deux premiers volumes se rapportant à l’histoire de Gênes bien plutôt qu’à la nôtre, c’est seulement dans cette dernière partie qu’il nous est permis d’espérer quelque sujet intéressant d’analyse ou de critique. Disons cependant dès à présent que, dans l’épigraphe patriæ ductus amore adoptée par l’auteur, il est peut-être permis de soupçonner que son intention a été de désigner la patrie corse au détriment de la patrie française. Cela s’accorderait peu avec les sentimens de reconnaissance que tout Corse doit justement nourrir pour la mère commune.

LAUZUN, PAR M. PAUL DE MUSSET[1].

Le roman historique, créé par Walter Scott, et naturalisé en France par des célébrités maintenant incontestées, porte en lui-même un vice radical, le défaut de ses qualités. Ou il ramène l’invention à des formes sèches et prosaïques, en suivant de trop près le réel, ou il fausse l’histoire en la poétisant. Issu parfois de mères non avouées, les chroniques savantes qui lui donnent l’être ne le peuvent reconnaître pour légitime, tandis que son respectable aïeul, le vieux roman purement romanesque, le surnomme avec quelque mépris du diminutif romantique. Là où jouit l’historien, la grisette court risque de s’endormir sur son comptoir, et là où l’ignorant se délecte, l’antiquaire ne voit qu’un bâtard. Enfermé dans ce cercle vicieux, l’écrivain se trouve donc ainsi entre l’imagination et la conscience, et comme malheureusement en pareil cas, c’est quelquefois

  1. vol. in-8o, chez Dumont, au Palais-Royal.