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M. Meyerbeer, autour duquel s’empressent les chanteurs. Le caractère d’Alice, que Mlle Flécheux a choisi, est l’un des plus variés du répertoire, le seul où l’on trouve ce mélange de simplicité et d’élévation, de gentillesse et d’enthousiasme, si rare dans les opéras de l’école française. Je comparerais volontiers Alice à la Ninetta de Rossini. Des deux côtés c’est la même candeur, la même grâce aux premiers actes, la même exaltation à la fin. Le rôle d’Alice est plus dramatique, partant plus allemand ; celui de Ninetta plus italien, plus fidèle aux lois de la mélodie et du chant pur. C’est cette variété musicale du rôle d’Alice qui fait que les jeunes cantatrices, dont le talent est inégal encore, le choisissent pour leurs débuts, peut-être sans s’en rendre compte. Plus le rôle est varié, plus il y a lieu d’espérer qu’elles y trouveront des choses écrites dans la mesure de leur voix ; si elles manquent un effet simple, elles prendront leur revanche dans une situation dramatique ; si la romance échoue, le trio réussira. Ainsi, dans le cours de ses longs voyages, pendant lesquels il dirigeait les répétitions de Robert le Diable dans les capitales et dans les bourgs, Meyerbeer trouvait toujours des femmes capables de représenter Alice convenablement, ce qui ne lui est peut-être pas arrivé une fois pour le rôle de la princesse Isabelle ; et la cause en est tout entière dans la monotonie de ce caractère. Si vous êtes curieux de savoir quelle béatitude éprouve un compositeur qui se rappelle la voix qu’il a rêvée pour sa musique, dites à Meyerbeer de vous raconter l’expression inouie de cette belle jeune fille de Berlin qui chanta un soir le rôle d’Alice avec tant de religion et d’enthousiasme, que lui, Meyerbeer, maître de chapelle du roi de Prusse, oublia de battre la mesure, tant il était ravi en extase. Mais, hélas ! les cantatrices disparaissent sitôt qu’elles ont atteint l’idéal de leur art. La donna Anna d’Hoffman mourut pendant la nuit qui suivit la représentation de Don Juan ; la belle Alice de Meyerbeer quitta la scène après avoir chanté trois fois Robert le Diable. Il y a dans le caractère d’Alice deux natures bien distinctes : l’une soumise et timide, l’autre énergique, violente, enthousiaste. Mlle Dorus n’a vu dans ce rôle que la première et l’a développée jusqu’au jour où Mlle Falcon a révélé tout ce qu’il y avait de force, d’inspiration et de mâle puissance dans cette créa-