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nation bien rare ; dans la dernière scène elle a été tragédienne, imposante et belle ; il est vrai qu’elle imitait Mme Pasta, mais comme Donizetti imite Rossini, avec franchise et naïveté. Il ne peut venir à l’idée de blâmer un homme qui, dès le commencement de son œuvre, vous dit : J’ai trouvé ce modèle beau, et je l’imite. Au contraire, s’il a fait selon sa conscience et les mesures de son talent, on doit des louanges et des remerciemens à cet homme. Il y a dans Anna Bolenna quelque chose qui appartient en propre à Donizetti ; c’est le caractère de Percy. Je ne sache pas que cette figure blonde et mélancolique se trouve quelque part dans l’œuvre si complète et si variée de l’auteur de Semiramide et d’Otello. À tout prendre, j’aime mieux un imitateur tel que Donizetti que ces grands musiciens de tant génie qui parlent beaucoup et n’inventent jamais. Donizetti imite et vous le dit, les autres imitent et se taisent sur cette question du moins. Donizetti puise à la source italienne, source limpide et transparente exposée au soleil, et dont l’œil voit le fond de marbre blanc ; les autres vont remuer les eaux profondes et troubles de Weber : voilà toute la différence.

Vous avez entendu Rubini l’an passé ; vous vous souvenez de cette voix incomparable, de ses élans imprévus dans la cavatine de la Straniera, de son trille merveilleux dans celle de Don Giovanni, Eh bien ! cette voix semble encore s’être étendue et se déployer aujourd’hui avec plus de magnificence que jamais. La belle cavatine des Puritains, qui passait inaperçue dans les premières représentations, est applaudie chaque soir avec enthousiasme, tant il y met d’accent douloureux et vrai, de passion touchante et sentie ; mais c’est surtout dans la Sonnambula qu’il développe en toute son ampleur cette gamme pathétique dont lui seul a le secret. De tous les opéras de Bellini, de cette blonde muse si tôt arrêtée dans sa carrière glorieuse, la Sonnambula est sans contredit le plus vrai, le plus gracieux, le plus charmant. La cavatine d’Amina, les plaintes de son fiancé, les chœurs des paysans, tout cela est plein de douceur, de mélancolie et de suavité. L’orchestre même dont on déplore la faiblesse et le néant dans certaines compositions sérieuses du même maître, ici convient à merveille, dans sa simplicité, pour accompagner ces airs naïfs et