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INDUSTRIE ET COMMERCE DE LA BRETAGNE.

mobile. Un second et un troisième coup suivirent, et quelques épares du navire étranger tombèrent, coupés par les boulets ; mais il ne fit aucun mouvement. Cependant le corsaire approchait ; il n’était plus qu’à une portée de mousquet du brick : Marcof prit le porte-voix et le héla ; point de réponse. Sur le pont on ne voyait qu’un seul homme qui se promenait tranquillement, les mains derrière le dos.

— Il paraît que c’est un équipage de sourds et muets, dit Marcof ; nous allons voir si, en leur mettant un canon de pistolet dans l’oreille, en guise de porte-voix, ils entendront mieux.

Le lougre était bord à bord ; un grand mouvement se fit sur le pont du brick ; une douzaine d’hommes s’élancèrent le long de ses flancs qui dominaient le corsaire de plusieurs pieds. Dans ce moment, un cri : feu ! se fit entendre, et vingt coups de fusil partirent en même temps. Les douze Bretons retombèrent blessés ou morts : le reste de l’équipage du Jean-Louis s’arrêta étonné ; mais l’hésitation ne dura qu’un instant. Marcof jeta son cri en montant à l’abordage, et, malgré les balles, il fut bientôt sur le brick avec les plus déterminés de ses hommes. Là les attendait une réception qu’ils n’avaient pas prévue. Une compagnie de troupes anglaises en uniforme était rangée sur le pont, et faisait sans interruption un feu de peloton. Les matelots bretons reculèrent à cette vue ; mais les soldats s’avancèrent à leur tour, la baïonnette au bout du fusil, et une lutte terrible s’engagea sur les bastingages ; les morts anglais et bretons tombaient pêle-mêle à la mer ou dans le lougre qui flottait au-dessous du brick. Trois fois les vingt matelots repoussèrent les habits rouges jusqu’au gaillard d’arrière, trois fois ils furent obligés de céder. Enfin Marcof, ne voyant plus autour de lui que huit hommes debout, se décida à abandonner le navire ennemi. Il parvint à regagner le Jean-Louis. Il y était à peine que la brise s’éleva ; aussitôt les coups de feu cessèrent ; le navire anglais, déployant ses voiles, se détacha du corsaire et cingla lentement vers la pleine mer. Marcof vira de bord en grinçant des dents, et mit la barre sur Concarneau.

La foule réunie sur le rivage avait suivi le combat avec un intérêt mêlé d’épouvante ; mais l’éloignement empêchait d’apprécier les résultats de l’engagement. Ce fut seulement au moment où le lougre parut sous la jetée que l’on put comprendre combien l’action avait été meurtrière. Le pont du Jean-Louis était entièrement couvert de morts et de blessés ; Marcof, debout à la barre, les pieds dans le sang jusqu’à la cheville, donnait ses ordres à six matelots, les seuls qui fussent en état de manœuvrer. Un cri d’horreur s’éleva dans la foule à l’instant où le lougre rasa l’entrée du môle. Marcof leva la tête et salua de la main