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faire comprendre que par l’action. Ce laconisme épigrammatique et incisif dans les circonstances vulgaires devient quelquefois, dans des cas plus graves, terrible par sa concision. Je puis en citer un exemple entre mille ; il complétera ce qui nous reste à dire du marin breton.

C’était sous le directoire. Les nombreux corsaires armoricains qui couvraient alors la Manche, avaient tous profité d’un vent favorable pour mettre en mer, et il ne restait au port de Concarneau que le lougre de Marcof que l’on achevait d’armer. Marcof était un corsaire de l’île de Batz, qui s’était déjà distingué en plusieurs occasions par son audace. C’était lui qui, ayant fait prisonnier un capitaine des îles anglaises, et le voyant dépérir d’ennui, trouva plaisant d’aller faire une descente à Guernesey, à travers les stations, d’y enlever la famille entière du capitaine, et de la lui amener pour le distraire. Malheureusement un naufrage récent lui avait enlevé le beau cotre qu’il commandait, et, en attendant mieux, il avait pris le commandement du petit lougre le Jean-Louis, avec lequel il devait mettre à la voile dans quelques jours. Il était alors occupé à former un équipage, et se trouvait dans une des tavernes du port avec quelques matelots qu’il venait d’enrôler. On avait déjà beaucoup bu, et fait les plus beaux rêves sur les exploits prochains du Jean-Louis, lorsqu’on vint avertir Marcof qu’il y avait en vue un bâtiment étranger pris par le calme. Il sortit aussitôt avec ses hommes. Le bâtiment commençait à se dessiner dans le brouillard ; bientôt la brume s’écarta comme un rideau que l’on soulève, et tous les doutes furent dissipés ; le port, le gréement, l’absence du pavillon, tout prouvait que c’était un anglais ; la distance peu considérable permettait aussi de le reconnaître pour un brick de commerce sans défense. Il suffisait donc de l’aborder pour le prendre. La tentation était trop forte ; Marcof n’y put résister. Il courut à son lougre dont l’armement était presque achevé, jeta une planche entre le quai et le corsaire, et fit crier dans le porte-voix que Marcof demandait trente hommes de bonne volonté pour faire une prise. Tout ce qu’il y avait dans les tavernes de matelots sans emploi accourut ; quelques vieux marins retirés se joignirent à eux, et, au bout d’une heure, le Jean-Louis quittait le port avec son équipage complet, et se dirigeait vers le brick. La foule se précipita vers le rivage pour voir ce qui allait se passer.

Tous les yeux suivirent avec anxiété le petit navire de Marcof, qui s’avançait lentement à force de rames. Enfin la distance entre lui et le brick anglais devint moins considérable. Un coup de pierrier partit du lougre, et le pavillon tricolore fut hissé à son mât. Le brick resta im-.