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INDUSTRIE ET COMMERCE DE LA BRETAGNE.

classiques pendant jusqu’à la cravate. Et quelle démarche ! Comme ses deux bras formaient bien le grapin ; comme ses membres avaient horreur de la ligne droite ; comme tout son corps semblait s’être faussé et arrondi au roulis du navire ! Voilà l’homme chez qui il fallait chercher des mœurs, des superstitions, des passions spéciales. Mais aujourd’hui nos vaisseaux sont devenus tout simplement des casernes flottantes où des conscrits attendent leur congé en faisant l’exercice et maudissant leurs caporaux. Plus rien de cette fleur maritime, de ce parfum de sel et de goudron que l’on respirait autrefois en mettant le pied sur un navire du roi. Le langage même s’est perdu. Maintenant, vous avez des marins qui parlent comme des passementiers de la rue Saint-Denis, des marins qui ont un uniforme et des bretelles, qui font des économies pour la fin de la campagne, et qui boivent près d’un soldat sans lui casser la bouteille sur la figure. Je vous le répète, il n’y a plus de marins en France. Si les matelots du Vengeur et de la Belle-Poule pouvaient voir leurs successeurs, ils avaleraient leurs chiques, de honte et de colère.

On a beaucoup parlé des mœurs des marins depuis quelque temps, et plusieurs écrivains doivent à leurs essais en ce genre la célébrité dont ils jouissent ; mais, parmi toutes ces études maritimes, il n’en est aucune, selon nous, qui ait complètement fait connaître les matelots bretons. L’un, qui les connaissait et avait vécu avec eux, n’a peint que leurs habitudes et leurs jaquettes bleues ; il s’est plus occupé de reproduire leur langage que d’étudier leurs passions et leur ame. Comme Callot, il s’est contenté des formes extérieures, et ses tableaux, d’une vérité plaisante, mais toute matérielle, manquent toujours de profondeur. On sent toujours l’homme de mer qui raconte ; jamais le philosophe qui regarde. L’autre, plus élégant dans la forme, a été moins sincère. Dominé par une réminiscence byronienne, il a développé un système encore plus qu’il n’a décrit la vie maritime. Il a essayé une anatomie métaphysique du cœur humain, en plaçant seulement son amphithéâtre dans un entrepont. Son type matelot n’a, du reste, aucun rapport avec le type breton. Le marin qu’il a peint, c’est le marin parisien ; c’est un Robert Macaire en vareuse, fanfaron, théâtral et phraseur ; une sorte de forban artistement féroce et sachant enjoliver l’horreur. Ce type n’est pas faux comme on l’a prétendu, mais il est rare, exceptionnel et totalement perdu. On en retrouverait encore quelques traits peut-être dans le matelot provençal mais fort affaiblis. Quant à Cooper, quoiqu’il ait peint les marins de sa nation et non les nôtres, il est encore, même pour nous, celui qui a révélé le plus profondément l’homme de mer. Il a glissé sur la forme pour