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INDUSTRIE ET COMMERCE DE LA BRETAGNE.

probité douteuse. Les plus pauvres craignent sa rapace adresse, car, comme le dit la chanson, c’est un homme sans foi et sans paroisse.

Voici un chant populaire des montagnes sur le pillawer ; il fera sans doute mieux connaître cet être singulier. Les chants populaires ont cela de merveilleux qu’ils racontent et n’analysent pas. Le poète populaire a l’immense avantage de décrire la chose avec son enveloppe ; il dit ce qui est et non ce qu’il pense ; il n’est pas auteur, et nous, nous le sommes toujours trop, même à notre insu.


CHANT DU PILLAWER.

Il part, le pillawer, il descend la montagne ; il va visiter les pauvres du pays. Il a dit adieu à sa femme et à ses enfans ; il ne les reverra que dans un mois, dans un mois s’il vit encore.

Car la vie du pillawer est rude ; il va par les routes, sous la pluie qui tombe, et il n’a pour s’abriter que les fossés du chemin. Il mange un morceau de pain noir, pendant que ses deux chevaux broutent dans les douves, et il boit à la mare où chantent les grenouilles.

Il va, il va, le pillawer ; il va comme le juif errant. Personne ne l’aime. Il ne trouve ni parens, ni amis dans le bas pays, et l’on ferme sa porte quand on le voit ; car le pillawer passe pour un homme sans foi.

Dimanches et fêtes il est par les chemins. Il n’entend jamais la messe ni les offices ; il ne va point prier sur la fosse de ses parens ; il ne se confesse pas à son curé ; aussi disent-ils dans le bas pays que le pillawer n’a ni foi, ni paroisse.

Sa paroisse est là-bas, près de son toit de genêt ; mais il n’y retourne que pour quelques jours. Il est étranger dans le village où il a été baptisé. Quand il arrive, les petits enfans ne crient pas son nom, les chiens n’aboient pas d’un air de connaissance.

Il ne sait pas ce qui se passe dans sa propre famille. Il revient au bout d’un mois, et quand il s’arrête sur la porte, il n’ose entrer, car il ne sait ce que Dieu lui a mis chez lui : une châsse ou un berceau !

Et quand son fils aîné aura douze ans, le pillawer lui dira un jour : — Viens apprendre ton métier, mon fils. Et l’enfant ira meurtrir ses petits pieds dans les chemins, et il dira bien des fois à son père qu’il a froid et qu’il est fatigué.

Mais son père lui dira, en lui montrant le soleil : — Voilà la che-