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INDUSTRIE ET COMMERCE DE LA BRETAGNE.

où Dieu l’a mise. Le laouenanic rencontre aussi bien un grain de blé dans les champs que dans la cour d’un château.

— Mais ne sentez-vous pas quelquefois du regret de n’être qu’un pauvre menuisier de village ? Est-ce que ça ne vous déchire pas le cœur quand on ne vous comprend pas, quand vous avez fait quelque chose de beau comme votre Vierge, et qu’on vient, ainsi que tout à l’heure, vous dire que c’est mal ?

Jahoua haussa les épaules avec un sourire triste et doux.

— Ceux qui paient ont le droit de parler, monsieur, dit-il.

J’étais véritablement attendri.

Jusqu’alors je ne m’étais figuré le génie méconnu que dans une lutte furieuse contre le monde ; je me l’étais représenté sous l’image du lion succombant aux morsures du moucheron, avec un dernier rugissement de rage ; et voilà que tout à coup je voyais surgir devant moi un grand homme en guenilles, escomptant sa gloire à vingt sous par jour et laissant souffleter son génie sans qu’un soupir tombât de ses lèvres, sans qu’une ride de dédain plissât son large front, sans qu’une bouffée de colère montât de son cœur à son regard ! Je voyais devant moi un Michel-Ange villageois forcé de brûler le Saint-Pierre de Rome auquel il avait travaillé sept ans, dont on barbouillait les statues pour les faire sourire ; et il était calme, il était bienveillant, il n’avait point pensé que le monde était injuste envers lui, et il n’eût pas compris mon admiration si je la lui avais exprimée ! Je restais confondu.

Cependant nous étions sortis, et à quelques pas du seuil nous nous détournâmes pour regarder extérieurement la demeure du menuisier. Jahoua, qui s’était arrêté avec nous devant son colombier, le contemplait avec une joie forte et silencieuse. Ses yeux semblaient suivre dans l’air l’aile blanche du moulin que créaient ses rêves.

Nos regards se rencontrèrent, et il vit que je l’avais compris.

— Oui, monsieur, me dit-il en riant, j’aurai là un jour quatre grands bras qui besogneront pour moi, des bras de chêne et de toile qui ne se fatigueront pas. Alors je pourrai travailler à mon idée, dans mon moulin ; je pourrai penser à mon aise sans entendre les pratiques crier. Un meunier, voyez-vous, n’a pas beaucoup à faire. Tant qu’il entend son aile chanter sur l’axe, comme une cigale, il n’a pas à s’inquiéter, le vent du bon Dieu lui boulange son pain. Si jamais vous revenez au pays, monsieur, et que vous voyiez de loin une aile tourner au-dessus de ce toit de paille, dites sans crainte qu’il y a là un homme qui s’appelle Jahoua et qui ne demande plus rien au bon Dieu.

Après avoir prononcé ces mots avec une sorte d’élégance agreste et