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un cri de stupéfaction en apercevant l’intérieur de cette incroyable machine.

Dépourvu des ressources nécessaires pour exécuter le travail qu’il avait entrepris, le menuisier s’était servi de tout ce qu’il avait pu approprier de quelque manière à son œuvre. Le fer, le cuivre, la pierre, avaient été tour à tour employés par lui. Il n’existait point, dans toute la machine, une pièce de la même espèce, ni faite l’une pour l’autre. On voyait que chacune d’elles n’avait été raccordée qu’à force d’adresse avec sa voisine, et l’on y reconnaissait encore la trace d’une destination primitive toute différente. Le cadran était une large ardoise, sur laquelle une pointe de compas avait tracé le chiffre des heures et quelques arabesques d’assez bon goût. Le timbre dont le son avait éveillé mon attention, n’était autre chose qu’un fragment de bassine de fonte sur lequel venait frapper une tige de fer à bouton cuivré, débris enlevé à une vieille pelle de quelque foyer bourgeois. Le reste n’était ni moins fruste ni moins étrange. J’étais immobile et en admiration devant ce travail, lorsque l’on vint appeler Jahoua. Il sortit un moment.

— Eh bien ! me dit Frantz qui s’était approché, que pensez-vous de cet ouvrage ?

— Cela peut faire une détestable pendule ; mais, certes, c’est une création admirable. On s’effraie à penser tout ce qu’il a fallu d’imagination, de calcul et d’adresse, pour achever un pareil travail. Cet homme aurait fait un grand mécanicien.

— Je ne sais trop ce que Jahoua n’aurait pas été, s’il fût né ailleurs, dit Frantz ; tout ce que vous voyez ici est son ouvrage. C’est lui qui a fait les meubles, réparé les murs, élevé le toit. Il travaille également bien le bois, la pierre et les métaux. Une invention lui coûte moins qu’une imitation. Cet homme a une faculté particulière pour simplifier tous les instrumens de la vie usuelle. Vous voyez la serrure de cette armoire ? il n’y entre pas une parcelle de fer, et elle n’en est pas moins sûre. En voici la clé, qui ne se compose d’autre chose que d’une cheville et d’un clou. Vous êtes habitué aux foyers fumeux des chaumières bretonnes : voyez celui-ci.

Je me détournai vers l’âtre. Ce n’était point, comme je l’avais vu partout jusqu’alors dans nos campagnes, un grand parallélogramme surmonté d’un vaste tuyau donnant passage à une colonne d’air glacial qui refoule la fumée vers l’intérieur ; Jahoua avait fixé au fond de l’âtre un débris de ces immenses cuves en terre cuite, destinées à couler les lessives, et donnant ainsi au foyer une forme hémisphérique, favorable