Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/425

Cette page a été validée par deux contributeurs.
419
INDUSTRIE ET COMMERCE DE LA BRETAGNE.

Lorsque nous arrivâmes, le menuisier travaillait devant la porte. Frantz lui souhaita le bonjour, et lia conversation. Pendant qu’il causait, je m’approchai de l’établi pour examiner l’ouvrage de Jahoua. C’était un bahut de chêne fort grossièrement exécuté, et qui était loin de révéler, de la part de l’ouvrier, l’habileté que je lui avais supposée. J’en exprimai mon étonnement à Frantz, en français, ignorant que Jahoua comprît cette langue ; mais, à son sourire, je vis qu’il m’avait entendu.

— Je fais mieux que cela quelquefois, me dit-il ; mais il faut que l’outil aille vite, pour qu’il ait fini avant que mes cinq enfans ne crient la faim ! J’ai encore employé deux jours pour faire ce bahut, et l’on n’a pas beaucoup de blé noir pour quatre francs.

— Seriez-vous si peu payé pour ce travail ?

— Celui qui paie trouve toujours que le travail est cher, me répondit-il avec cette prétention sentencieuse si commune chez le paysan breton.

— Il ne faut pas juger Jahoua sur ceci, reprit mon ami. Jahoua, quand il le veut, travaille comme les saints, vite et bien. C’est à lui que nous devons presque tous les christs de l’arrondissement.

— Vous sculptez des christs ? lui demandai-je.

— Quand je ne trouve pas de bahut à faire.

— Mais c’est un travail qui doit vous rapporter davantage ?

— Bien peu. Je sculpte à la journée, ou bien on me paie les christs à la taille : cinq francs du pied. Encore il y a des curés qui veulent la lance et la couronne d’épines par-dessus le marché.

Dans ce moment, un son timbré retentit dans la maison de Jahoua, et se répéta sept fois. Je me détournai avec étonnement.

— C’est mon horloge, me dit le menuisier.

— Vous avez une horloge ?

— Qu’il a faite lui-même, en regardant la vieille pendule de ma cuisine, ajouta Frantz. Entrons, et vous allez la voir.

Jahoua tira son chapeau, avec cette politesse hospitalière que l’on trouve chez le plus rustre de nos villageois, et se rangea, en nous faisant voir la porte d’un geste invitant. Nous entrâmes.

La femme du menuisier était assise près du berceau de son dernier né, occupée à filer. Dès qu’elle nous aperçut, elle se leva et nous souhaita la bienvenue à la manière des femmes bretonnes, en retirant sa quenouille et déposant son fuseau. Frantz se mit à causer avec elle, à l’interroger sur ses enfans, pendant que Jahoua me conduisait vers une sorte de cercueil en bois, collé le long du mur, vis-à-vis de la porte. C’était sa pendule. Il m’ouvrit la longue boîte de peuplier, et je jetai