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sales bouges d’un village boueux, il ne respire point, ainsi que le paysan, cet air des vallées, tout chargé de mielleuses senteurs et de frais murmures, qui coule dans la poitrine comme un élixir céleste, qui rend fort et joyeux. Ses enfans maigrissent, chétifs et pâles, sous les murs humides de sa tannière.

Tout ce qui les entoure est sale, triste, dégradant. Ils s’étiolent dans le milieu corrosif qui les enveloppe. Par une sorte de confraternité mystérieuse, la corruption physique devient pour eux le germe de la corruption morale. Tout les pousse à la méchanceté par la laideur, à la dureté par la souffrance ; et, une fois grands, ils ne deviendront pas, comme les fils du laboureur, une richesse pour leur père ; ils deviendront des ennemis, des concurrens ; leur père les craindra. Un jour il leur dira :

— Vous êtes forts et jeunes, je suis vieux et faible, votre concurrence est trop redoutable pour moi ; allez ailleurs.

Et si ce sont des fils pieux, ils partiront, ils diront adieu à leur mère, à leur village, et ils iront chercher dans un autre coin une place qui leur permette de vivre comme a vécu leur père ! — Ne nous arrêtons point trop sur ces tableaux ! Quand on sonde de pareilles plaies, on en éprouve un ressentiment douloureux, et quand on se dit : — Moi aussi je pouvais naître le fils d’un ouvrier breton, — on se sent froid au cœur.

Mais, parmi tous les ouvriers de la Bretagne, il n’en est point dont les misères puissent être comparées à celles du tisserand du Finistère. La fabrication des toiles a eu autrefois une grande importance dans ce département, qui en exportait à l’étranger pour plusieurs millions. La guerre, les fautes de l’administration et des traités de commerce, comme savent en faire nos ministres depuis Richelieu, ont ruiné à jamais cette industrie. Les fortunes considérables amassées par les anciens fabricans se sont dispersées ; et aujourd’hui les tisserands sont descendus à un degré d’indigence dont les canuts de Lyon ne donnent qu’une faible idée. Cependant cette industrie s’est conservée dans les familles ; une sorte de préjugé superstitieux défend de l’abandonner. Des communes entières, livrées exclusivement à la fabrication des toiles, languissent dans une pauvreté toujours croissante, sans vouloir y renoncer. Rien n’est changé depuis quatre siècles dans les habitudes du tisserand de l’Armorique. Assis devant le même métier, bizarrement sculpté, que lui ont légué ses ancêtres, il fait courir, de la même manière, dans la trame, la navette grossière qu’il a taillée lui-même avec son couteau, tandis que, près de lui, sa femme prépare le fil sur le vieux dévidoir vermoulu de la famille. C’est avec ces moyens impar-