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larmes l’étouffer. Cette terre où il était né, où il avait aimé, où il avait été heureux, il ne revenait plus y chercher que la place d’un cercueil ! Personne ne l’y attendait, qu’un fossoyeur pour creuser la fosse et un prêtre pour la bénir !

Cependant la nuit se fit et le temps devint sombre. Le capitaine de la goëlette que montait Pierre parut craindre un orage ; ses appréhensions ne tardèrent pas à se réaliser. Un grain s’éleva du large qui chassa le navire vers la terre. En vain l’équipage réunit toutes ses forces pour vaincre l’effort de la lame qui battait en côte ; le frêle bâtiment, balayé par l’ouragan, courait sur les flots avec ses voiles désorientées et en lambeaux, comme un oiseau marin blessé à l’aile et que la vague emporte.

Bientôt la terre se montra de plus près ; le navire allait entrer dans les brisans. On entendait à quelques pas le bruissement rauque et caillouteux du ressac qui rugissait parmi les écueils. La goëlette, comme si elle eût été épouvantée elle-même, résistait par momens à la houle, changeait de direction et tourbillonnait dans la tourmente, incertaine et effarée. Tout à coup une voix s’éleva dans l’orage :

— Nous sommes perdus ; nous avons un cadavre à bord !

Ce mot sembla agir comme une commotion électrique sur tout l’équipage. La croyance superstitieuse, commune à tous les marins, que la présence d’un mort dans un navire compromet sa sûreté, revint au souvenir de tous.

— Qu’on jette à la mer le cadavre ! crièrent-ils d’une seule voix.

Et ils s’élancèrent vers la chambre, saisirent le cercueil et le transportèrent sur le pont. Mais Pierre, averti par le tumulte, vint se jeter au milieu d’eux. Il voulut parler, on ne l’écouta point ; il voulut défendre son bien, on le repoussa.

— À la mer le mort ! hurlaient les matelots.

Ils soulevèrent la châsse.

— Non pas sans moi ! cria à son tour Pierre.

Et se jetant sur le cercueil, il l’embrassa à deux mains, sans que l’on pût l’en détacher. Les marins s’arrêtèrent, n’osant commettre un assassinat. Dans ce moment, une secousse terrible fit craquer toutes les membrures du navire, et le mât brisé s’abattit. La goëlette venait d’être précipitée entre deux rochers, qui la retinrent comme les deux bras d’un étau. Elle y resta toute la nuit sans que les coups de mer pussent l’en arracher.

Quand le jour vint, l’orage s’était un peu apaisé, et des barques de