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t-il dans le fond de cet être ? Qui peut dire qu’un traitement qui ressemble tant à une vengeance soit le plus propre à arrêter le mal, ou du moins à ôter à la mort ses plus douloureuses approches ? L’art est-il condamné quelquefois à se priver de l’aide si puissante de la pitié ? N’est-ce pas une parodie de la pitié que cette sœur si douce, si caressante, tendant la nourriture par un trou à une créature humaine enchaînée dans une cage à peine de sa longueur ? En vérité ma tête se troublait. Il ne faut pas mener sa raison parmi de telles épreuves ; elle se détraquerait à voir ce qu’il en est d’elle, et le peu qu’il lui est donné de faire pour remédier à ses propres maladies. Elle est si faible, même où elle est le plus forte ! Je demandai à descendre dans la cour : cette masse gémissante s’agitant au fond de sa cage me pesait sur l’ame comme un cauchemar ; je voulais l’aller oublier à l’air et au soleil.

Mais dans cette cour j’allais trouver d’autres folles. Il y en avait une vingtaine environ, les unes couchées sur le gazon flétri de la cour, les autres appuyées contre les murs et regardant le ciel, mais d’un regard où il ne fallait pas chercher quelques traces confuses d’une invocation ou d’une espérance ; regard stupide, pour qui l’azur du ciel n’avait pas plus de lumière que les ténèbres. C’étaient toutes les attitudes de la salle intérieure que je retrouvais dans cette cour. Plusieurs vinrent à nous pour nous demander la liberté : elles avaient toutes des griefs contre la jeune sœur. L’une, vieille femme en lunettes, avec les gestes et le ton emphatiques d’un vendeur d’orviétan, nous menaçait d’écrire au roi si on ne lui ouvrait pas les portes. Une autre, qui avait la camisole de force, grosse femme rude, épaisse, avec de la barbe et des moustaches, une voix virile, un œil furieux, se mit à injurier la jeune sœur, comme une femme de la lie du peuple en injurie une autre, avec un choix de mots abjects. La sœur n’en rougit même pas ; beaucoup de ces injures n’avaient pas de sens pour elle ; elle avait pu les entendre plus d’une fois sans les écouter ; sa mémoire était aussi chaste que son ame. Je n’oublierai jamais avec quelle grace elle apaisa la malheureuse, lui disant de douces paroles, et lui donnant de petits coups sur l’épaule avec sa jolie main. Cependant la folle ne baissait pas le ton, et continuait à nous poursuivre de ses injures. Alors une autre femme, dans un état d’im-