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L’HOSPICE DES ALIÉNÉES À GAND.

reaux en bois. La première était levée tout debout, la figure collée contre les barreaux, qu’elle serrait convulsivement de ses deux mains. L’imagination fait d’avance le portrait que les yeux vont voir. J’avais donc rêvé des visages atroces, des yeux sanguinaires ; j’accordais les figures avec les instincts. Cette malheureuse me remit dans la réalité. C’était une vieille femme ridée, triste, avec une physionomie insignifiante, plus sévère pourtant que douce ; vous auriez demandé sa liberté sur sa mine. Elle nous dit quelques injures, froidement, d’un ton monotone, comme si sa pauvre mémoire seule avait été méchante ; peut-être n’avait-elle voulu que nous flatter. Je suis sûr pourtant que ce n’est point avec mon imagination, mais bien avec mes yeux, que je vis, sous ses lèvres flétries, ses longues dents blanches, la seule chose qu’elle eût de commun avec les bêtes féroces, dont la nature de sa folie lui avait attiré le sort. C’était bien assez pour justifier les barreaux. Libre, elle eût mordu les mains de ses bienfaitrices. Malgré moi, ma pitié s’était refroidie. Cette malheureuse me dégoûta comme un jeu monstrueux de la nature qui avait mis une ame de bête dans un corps de femme. Peut-être aussi étais-je sous l’influence de cette idée, vraie ou fausse, mais plus d’instinct que d’expérience, que les fous méchans ont dû être méchans avant de devenir fous.

La pitié me revint pour le misérable être qui râlait dans la cage voisine, quoique sa folie fût plus terrible que celle de la vieille aux grandes dents. On avait appliqué un volet sur les barreaux de sa cage, de sorte qu’elle ne recevait que par un trou l’air et la lumière : le grand jour l’aurait mise hors d’elle-même. Plus captive que les bêtes, plus prisonnière que les plus féroces assassins, haïe de la lumière et de l’air, qui la pénètrent comme des flèches aiguës, et qui la feraient bondir dans sa cage, si on ne les lui mesurait pas d’une main avare, cette chose sans nom, à demi nue, sombre, sans forme, ramassée sur elle-même, épouvantable mystère, même pour l’art spécial qui analyse et approfondit sans cesse les maladies de l’ame, — je l’entendais gémir dans l’ombre où l’on entrevoyait à peine son visage qu’elle cachait de ses bras enchaînés, comme pour se défendre contre le peu d’air et de jour qu’il avait bien fallu lui laisser. On deviendrait fou à regarder de telles choses de trop près et avec trop de sympathie. Que se passe-