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quelques petits meubles. C’est le dortoir des folles qui ont quelque aisance, et dont la maladie n’a pas besoin d’être surveillée. Nous en vîmes deux qui nous intéressèrent diversement. Chose singulière ! il y a la même variété dans la folie que dans la raison, et l’homme est fou d’autant de façons qu’il est sensé. La première de ces folles est une folle heureuse. Outre un revenu assez considérable et beaucoup plus de ressources que de besoins, elle a plus de contentemens de sa folie que la plupart d’entre nous de leur raison. Nous entrâmes dans sa cellule, où nous la trouvâmes assise et travaillant à un petit ouvrage de femme. Elle se leva, et se mit à dire en riant mille choses ordinaires qui ne différaient de la conversation d’une femme de ménage que par le manque de suite et d’à-propos. Cette pauvre femme a environ cinquante ans. Elle en a passé vingt dans cette maison, toujours gaie, toujours heureuse, dans la plus parfaite santé, ayant assez de la liberté qu’on lui laisse, ne se plaignant jamais, accueillant les sœurs avec des rires de joie, leur reprochant de ne pas la venir voir assez souvent, comme si la pauvre femme avait besoin de faire partager à quelque âme tendre le superflu de son bonheur. Elle a la folie du contentement, et elle y est peut-être arrivée par de grandes souffrances. C’est un être heureux, mais seulement parce qu’il ne se sait pas. Le jour où cette folle s’entreverrait dans la nuit de sa pauvre intelligence, elle en mourrait. Rien de plus doux, de plus épanoui, que cette bonne figure flamande ; elle avait l’air de nous tant vouloir de bien ! et pourtant elle nous quitta sans un mot pour nous retenir, et reprit son tricot avec lequel elle continua sa conversation, comme avec un interlocuteur de même espèce que nous. Je la vis du dehors, par sa fenêtre, toujours riante, mais évidemment sans souvenir de ceux qu’elle venait de voir. Rien dans ses traits n’annonçait la folie, si ce n’est pas le plus sûr stigmate de la folie, sur une figure humaine, qu’un rire éternel.

L’autre folle est une fille d’une trentaine d’années, assez laide, mais avec des traits intelligens et marqués d’une certaine fermeté de caractère. Elle se promenait à grands pas dans le corridor, silencieuse et fière, de l’air d’une femme qui braverait une mauvaise destinée. Celle-là est folle d’avoir aimé au-delà de sa condition. Elle est éprise du gouverneur de la province, qu’elle n’a jamais